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Et il lança un coup d’œil à sa femme, avec une expression hargneuse et une physionomie plissée par la colère.

« Voyons, mon bijou, dit Rebecca en s’efforçant d’adoucir le courroux de son bien-aimé, tenez-vous prêt pour aller la revoir, qu’elle vous engage ou non à une nouvelle visite. »

À cela il répondit qu’il savait bien ce qu’il avait à faire, et la pria seulement de garder pour elle ses aimables compliments. Le mari froissé s’en alla sombre, silencieux et rancunier, passer le reste de la journée à l’estaminet.

Vers le soir, il fut obligé, comme toujours, de rendre les armes à la haute et prévoyante intelligence de sa femme, en recevant la plus triste confirmation des inquiétudes qu’elle avait manifestées à propos de sa maladroite démarche. L’émotion avait sans doute été trop forte pour miss Crawley, car elle resta longtemps accablée par ses rêveries, et c’était une fatigue dont la vieille demoiselle voulut même s’affranchir.

« Comme Rawdon est devenu vieux et épais, dit-elle à sa compagne, son nez s’est teint en rouge et sa personne tourne à l’obésité. Quel air de vulgarité il a pris depuis son mariage avec cette femme ! Mistress Bute me disait qu’ils se grisaient ensemble, et j’en ai la certitude maintenant ; il répand une abominable odeur de genièvre. N’avez-vous rien senti ? c’était à suffoquer. »

En vain Briggs fit valoir que mistress Bute parlait mal de tout le monde, et qu’avec les faibles capacités d’une personne de son humble condition elle la tenait pour une…

— Une intrigante de la pire espèce ? Oh ! vous avez raison, sa langue s’en prend à tout le monde. Mais j’ai l’intime conviction que cette Rebecca a donné à Rawdon des habitudes d’ivrognerie. Tous ces gens de peu…

— Il a été très-ému en vous voyant, madame, dit la demoiselle de compagnie, et je suis persuadée que si vous réfléchissez aux dangers qu’il va courir, vous…

— Combien, Briggs, vous a-t-il promis pour être son avocat ? cria la vieille demoiselle prise d’un accès de fureur nerveuse. Bon ! voilà maintenant que vous allez vous mettre à pleurer. Je déteste les scènes. Je ne pourrai donc jamais avoir la paix ? Allez-vous-en pleurer dans votre chambre et envoyez-moi Firkin. Non, restez, asseyez-vous là, mouchez-vous et finis-