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pitre, et écrivez-moi une jolie petite lettre pour miss Crawley, où vous lui ferez comprendre que vous êtes un brave garçon et autres choses sur le même ton. »

Rawdon s’assit et écrivit fort couramment :

« Brighton, jeudi.
« Ma chère tante… »

Mais ici s’arrêta tout court la verve imaginative du brillant officier. Il rongea le bout de sa plume en regardant la figure de sa femme, et elle ne put s’empêcher de rire à la mine piteuse qu’il faisait. Alors, se promenant en long et en large les mains derrière le dos, elle lui dicta la lettre suivante :

« Avant de quitter mon pays et de partir pour une guerre qui pourra m’être fatale… »

— Comment ? » dit Rawdon un peu surpris ; mais bientôt, saisissant la finesse de la phrase, il fit de nouveau courir sa plume sur le papier, en se livrant à de gros ricanements :

« Qui pourra très-probablement m’être fatale, je suis venu à vous… »

— Pourquoi pas près de vous, Becky ? près de vous est très-grammatical, risqua le dragon.

« Je suis venu à vous, » reprit Rebecca en frappant du pied, pour vous faire mes adieux comme à ma meilleure et à ma plus ancienne amie. Ah ! avant de m’éloigner de vous, pour toujours peut-être, permettez-moi une fois encore de presser cette main qui a répandu sur moi tant de bienfaits. »

— De bienfaits ! » répéta Rawdon en griffonnant les derniers mots, et tout émerveillé de la facilité de sa femme.

« Je vous fais une seule demande, c’est de ne point me laisser partir sous le poids de votre colère. Je partage le noble orgueil de ma famille sans le pousser pourtant aussi loin qu’elle à de certains égards ; j’ai épousé la fille d’un peintre, et ne rougis point de cette union. »

— On m’enfoncerait plutôt dans le corps une épée jusqu’à la garde, exclama Rawdon.

— Taisez-vous, imbécile ! dit Rebecca en lui tirant l’oreille,