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sentit pris de nouveaux remords et sa main resta insensible sous l’étreinte du vieil Osborne. Sa conscience lui criait qu’il était le vrai coupable dans tout ce qui venait de se passer. C’était lui qui avait ramené George aux pieds d’Amélia ; c’était lui qui avait approuvé, encouragé, conduit tout ce mariage ; et lorsqu’enfin il se présentait pour dévoiler au père l’abîme où il avait poussé le fils, il trouvait une figure riante, et s’entendait appeler mon bon ami Dobbin. Ah ! certes, il y avait bien là de quoi rougir et baisser la tête.

Osborne avait l’intime conviction que Dobbin lui apportait la soumission de son fils. Déjà, à l’arrivée du message qui annonçait sa venue, M. Chopper et son patron, en causant de cette brouille de famille, étaient tombés d’accord que George se rendait enfin aux ordres paternels, et envoyait l’adhésion attendue depuis plusieurs jours.

« Dans peu vous verrez une fameuse noce, » disait M. Osborne avec un air de triomphe à son commis ; et en même temps il faisait claquer ses gros doigts, et remuait les guinées confondues dans ses poches avec les schellings.

Lorsque Dobbin fut entré, Osborne, se prélassant dans son fauteuil, continua avec une satisfaction toujours croissante à tirer de ses poches un son métallique ; pendant ce temps, le capitaine se tenait pâle et silencieux sous ce regard où s’épanouissaient la sottise et la présomption.

« Quelle tournure de paysan pour un capitaine ? pensait le vieil Osborne. George aurait bien dû le dégrossir un peu et le styler aux belles manières. »

Dobbin finit par appeler tout son courage à son aide et prit le premier la parole :

« Monsieur, dit-il, les nouvelles dont je suis porteur sont de la plus haute gravité. Je me suis rendu ce matin aux Horse-Guards, et notre régiment recevra infailliblement son ordre de départ pour la Belgique avant la fin de la semaine. Or, vous savez, monsieur, que nous ne reviendrons ici qu’après une bataille qui pourra être fatale à plus d’un parmi nous. »

La figure d’Osborne prit une expression plus sérieuse.

« Mon fils… le régiment fera son devoir, j’en suis sûr, monsieur, répondit-il.

— Les Français sont nombreux, continua Dobbin ; il faudra encore du temps aux troupes russes et autrichiennes pour