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leur frère ; nous serons trois alors à poursuivre le vieil Osborne dans ses derniers retranchements. »

Notre machiavélique capitaine se demandait ensuite à l’aide de quel heureux stratagème il pourrait glisser en douceur, dans l’oreille des demoiselles Osborne, le terrible secret de leur frère.

Grâce à un interrogatoire préalable qu’il fit subir à sa mère sur l’emploi de ses soirées, il se trouva bien vite au courant des salons où il avait chance de rencontrer les sœurs de George. Malgré son horreur pour les bals, horreur, hélas ! partagée par plus d’un homme sensé, il s’assura d’une invitation pour une soirée à laquelle devaient assister les demoiselles qu’il cherchait. À peine arrivé, il s’empressa de les faire danser à plusieurs reprises, se montra plein de prévenances et de petits soins à leur égard, et poussa le courage jusqu’à demander à miss Osborne quelques minutes d’entretien dans la matinée du lendemain. C’était, dit-il, pour lui communiquer des nouvelles de la dernière importance.

Pourquoi cette jeune demoiselle se mit-elle à tressaillir de la sorte, puis à regarder son cavalier, puis à baisser modestement les yeux vers le sol, enfin à manquer de s’évanouir dans les bras de son danseur, lorsque le capitaine lui écrasant maladroitement le pied, la rappela fort à propos à un sentiment plus net de la réalité ? Pourquoi, en un mot, cette requête lui causa-t-elle une si vive agitation ? Voilà un mystère que jamais on ne pourra approfondir. On sait seulement que le lendemain, quand le capitaine arriva à Russell-Square, Maria n’était point au salon avec sa sœur, et que miss Wirt sortit sous prétexte d’aller la chercher. Le capitaine et miss Osborne restèrent donc en tête à tête. Un si profond silence régna d’abord, qu’on pouvait très-distinctement entendre le tic tac de la pendule placée sur la cheminée et représentant le sacrifice d’Iphigénie.

« Quelle délicieuse soirée que celle d’hier ! fit miss Osborne, comme pour encourager son interlocuteur ; vous voilà maintenant passé maître à la danse, capitaine Dobbin. Vous avez pris des leçons, je gage, continua-t-elle avec une aimable espièglerie.

— Ah ! je voudrais que vous me vissiez danser une bourrée écossaise avec mistress la major O’Dowd de notre régiment !… Et une gigue !… avez-vous jamais vu danser une gigue ? Mais