Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Russell-Square, et qui avait mis un veto absolu au mariage médité par Dobbin. Il connaissait l’entêtement et la brutalité du père Osborne, il savait combien il était tenace dans ses résolutions une fois prises.

« Le seul moyen pour George de sortir d’embarras, disait son ami, c’est de se distinguer dans la campagne qui va s’ouvrir. S’il est tué, la mort ne tardera pas à réunir ces deux âmes ; s’il se distingue, eh bien ! alors, comme il lui revient quelque argent de sa mère, à ce que j’ai entendu dire, il pourra acheter un grade de major ou se défaire de celui de capitaine, et aller s’occuper de défrichement au Canada, ou encore se livrer à l’agriculture dans une petite habitation à la campagne. »

Avec une telle compagne, Dobbin trouvait que l’on aurait pu défier les glaces de la Sibérie. Ce naïf et imprévoyant jeune homme ne fut pas même arrêté un moment par la pensée que le manque d’espèces pour acheter un bel équipage avec des chevaux, et l’absence d’un revenu suffisant pour en mettre les propriétaires à même de faire bonne chère à leurs amis, pussent devenir un obstacle à l’union de George et de miss Sedley.

Toutefois, sous l’influence de ces graves considérations, il pensa qu’il fallait presser autant que possible ce mariage. Était-il donc lui-même bien désireux d’en voir la conclusion ? à peu près à la façon de gens qui, après un décès, hâtent les cérémonies funèbres ou avancent l’heure fixée pour une séparation inévitable. M. Dobbin s’étant chargé de cette affaire avait grand désir de la terminer. Il faisait sentir à George la nécessité d’une exécution immédiate ; il lui montrait les chances de réconciliation avec son père, si son nom était porté à l’ordre du jour dans la Gazette. Dobbin consentait même, s’il en était besoin, à affronter le courroux des deux pères. En tout cas, il priait George d’en finir avant l’ordre de départ attendu de jour en jour, et qui devait forcer le régiment à quitter l’Angleterre pour aller guerroyer sur le continent.

Tout dévoué à ces projets matrimoniaux, M. Dobbin, suivi de l’approbation et des vœux de mistress Sedley, qui n’avait nulle envie de traiter directement cette affaire avec son mari, se rendit auprès de John Sedley, dans la maison où il descen-