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non toutefois sans éprouver quelque honte à la pensée de son peu d’empressement à suivre sa fiancée ; où sont-ils ? Il n’y a point d’adresse sur ce billet. »

Dobbin savait l’adresse, lui. Non content d’envoyer le piano, il avait écrit une lettre à mistress Sedley pour lui demander la permission d’aller la voir. Et il l’avait vue la veille, ainsi qu’Amélia, avant son retour à Chatham ; bien plus, c’était lui qui avait apporté cette lettre d’adieu, ce paquet qui causait aux deux amis une si vive émotion.

L’excellent garçon avait reçu de mistress Sedley le meilleur accueil. Elle avait été fort touchée de l’arrivée du piano, qui, suivant ses conjectures, était envoyé par George comme marque de dévouement et d’amitié. Le capitaine Dobbin ne chercha point à détromper cette honnête femme ; mais il écouta tous ses malheurs, toutes ses plaintes avec la plus vive sympathie. Il lui exprima la part qu’il prenait à ses peines et à ses privations ; d’accord avec elle, il blâma la dureté de M. Osborne pour son ancien bienfaiteur. Puis, après avoir reçu les épanchements de son cœur, les confidences de ses chagrins, Dobbin se sentit assez de courage pour demander à voir Amélia, retirée comme d’ordinaire dans sa chambre ; sa mère amena la pauvre fille toute tremblante.

On eût dit un fantôme ; sur son visage le désespoir se peignait en traits si éloquents que l’honnête Dobbin frissonna à son aspect, et lut les plus sinistres présages sur cette figure décolorée et immobile. Au bout d’une ou deux minutes, elle lui remit le paquet et lui dit :

« Voici pour le capitaine Osborne, s’il vous plaît… J’espère qu’il va bien… C’est très-bon à vous d’être venu nous voir… Nous aimons beaucoup notre nouvelle habitation… Je crois, maman, que je puis remonter, car je me sens un peu faible. »

La pauvre enfant fit un salut accompagné d’un sourire et se retira. La mère, en la reconduisant à sa chambre, jeta vers Dobbin un regard désolé. Le pauvre garçon se sentait très-ému. Il éprouvait déjà pour cette jeune fille une vive tendresse ; car, lorsqu’il se retira, son âme était en proie à la douleur, à la compassion, à la crainte, comme s’il eût été coupable, comme si un remords poignant se fût glissé dans son âme.

Osborne, apprenant que son ami avait vu Amélia, lui fit les questions les plus pressantes, les plus inquiètes, au sujet de la