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cercle autour de votre large table étincelante de vaisselle et de linge damassé, qu’on y verrait un jour figurer, en guise de plat, cet étourdissant brocanteur ?

La vente tirait à sa fin. Déjà on avait vendu le magnifique ameublement du salon, sorti des meilleurs ateliers ; les vins rares, qui avaient coûté des prix fabuleux et avaient été choisis avec le goût que l’on connaissait à leur possesseur ; les services d’argenterie, d’une richesse et d’une ciselure remarquables. Quelques-unes des meilleures bouteilles, renommées parmi tous les amateurs du voisinage, avaient été achetées pour la cave de son maître par le sommelier de notre ami Osborne, esquire de Russell-Square. Un petit lot d’argenterie consistant en objets les plus indispensables, avait été acquis pour le compte de jeunes agents de change de la Cité. Il ne restait plus maintenant pour exciter la tentation du public que des objets de moindre valeur. L’orateur, juché sur la table, s’extasiait sur les mérites d’un tableau qu’il recommandait à l’admiration des assistants. La foule des acheteurs était loin d’être aussi choisie, aussi nombreuse qu’aux vacations précédentes.

« Numéro 369 ! hurlait M. Martofrap. Portrait d’un monsieur sur un éléphant. Qui parle pour le monsieur sur l’éléphant ? Faites voir aux amateurs, monsieur Criarson, qu’ils puissent examiner le chef-d’œuvre. »

Un monsieur grand, pâle, à la tournure militaire, assis tranquillement sur la table d’acajou, ne put s’empêcher de rire quand M. Criarson promena ce précieux morceau sous les yeux du public.

« Montrez l’éléphant au capitaine, Criarson. Eh bien ! monsieur, que disons-nous pour l’éléphant ? »

Le capitaine, au lieu de répondre, rougit, se troubla et détourna la tête pendant que le vendeur renouvelait ses provocations.

« Vingt guinées pour cet objet d’art ? quinze… cinq… qu’on dise un mot ; le monsieur sans l’éléphant vaut à lui seul cinq livres.

— Je m’étonne que l’éléphant ne plie pas sous un pareil fardeau, dit un loustic de profession ; son cavalier est assez gros pour cela. »

En effet le monsieur placé sur l’éléphant faisait l’effet d’un