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« Mais si la vieille ne s’apaise pas, disait Rawdon à sa petite femme dans leur élégante maison de Brompton, où celle-ci avait passé sa matinée à essayer un nouveau piano, ses nouveaux gants qui lui allaient à merveille, ses nouveaux châles qui lui seyaient on ne peut mieux, ses nouvelles bagues qui brillaient à ses petits doigts, et sa nouvelle montre qui faisait tic tac à son côté. Eh bien ! Becky, si la vieille femme s’entête ?

— Je me charge de votre fortune, reprit-elle ; et Dalila caressait Samson.

— Vous pouvez tout, dit-il en déposant un baiser sur sa main mignonne ; aussi, mordieu ! je m’en rapporte à vous ! »



CHAPITRE XVII.

Le capitaine Dobbin achète un piano.


S’il est au monde un endroit où la satire et le sentiment puissent se donner rendez-vous, où le risible et le larmoyant se présentent avec le plus bizarre contraste, où l’on ait le droit de se montrer mordant et pathétique avec un parfait à propos, c’est dans une de ces assemblées publiques dont l’annonce remplit chaque jour les dernières colonnes du Times, et où chacun, pour son argent, est appelé à prendre sa part de la bibliothèque, du mobilier, de la vaisselle, de la garde-robe et des vins fins d’Épicure trépassé.

Les restes de mylord Plutus reposent maintenant dans le caveau de la famille. Les statuaires taillent dans le marbre une inscription commémorative et véridique, comme on le sait, de ses vertus et de la douleur de son héritier, désormais en possession de ses biens. Quel convive de la table de Plutus peut passer devant sa maison jadis si hospitalière pour lui, sans laisser échapper un soupir, devant cette maison qui s’illuminait de si joyeuses clartés vers les sept heures du soir, dont les portes étaient toujours toutes grandes ouvertes, et dont les domestiques, tandis qu’on montait l’escalier garni de moelleux tapis, faisaient retentir le nom du visiteur de palier en palier