Il partit, et Rebecca se sentit soulagée d’un grand poids ; car ainsi son secret restait ignoré de miss Crawley, et elle pouvait encore jouir de quelque temps de répit.
Elle s’essuya les yeux avec son mouchoir, et fit signe à l’honnête Briggs, qui grillait de l’accompagner, de ne point la suivre dans sa chambre. Briggs et miss Crawley, au comble de la curiosité, se mirent à commenter ce singulier événement. Firkin, non moins émue, descendit dans les régions de la cuisine, et mit au courant de l’affaire la population mâle et femelle de l’endroit. Firkin fut si frappée de cette aventure, qu’elle jugea à propos d’écrire, par le courrier du soir, que, sauf le respect qu’elle devait à mistress Bute Crawley et à la famille du ministre, sir Pitt avait offert sa main à miss Sharp, et qu’elle l’avait refusée, à l’étonnement général.
Dans la salle à manger, où la digne miss Briggs se réjouissait de partager de nouveau les confidences de sa maîtresse, ces deux dames n’en revenaient point de la proposition de sir Pitt et du refus de Rebecca ; Briggs supposait fort judicieusement qu’il devait s’élever quelque obstacle par suite d’un attachement antérieur ; autrement, suivant elle, la jeune femme n’aurait pas refusé une offre si avantageuse.
« Vous auriez accepté, n’est-ce pas, Briggs ? dit miss Crawley avec un air de bonté.
— Ne serait-ce pas un grand honneur pour moi de devenir la sœur de miss Crawley ? répondit Briggs par une périphrase évasive.
— Eh bien ! après tout, Becky eût fait une très-bonne lady Crawley, » observa miss Crawley, fort attendrie du refus de la jeune fille.
Elle était d’autant plus libérale dans son admiration qu’elle n’avait plus de sacrifice à faire.
« C’est une forte tête, continua-t-elle, avec plus d’esprit dans son petit doigt que vous, ma pauvre Briggs, n’en avez dans toute votre personne. Ses manières sont excellentes, et surtout depuis que je l’ai formée. C’est une Montmorency, on le voit bien, Briggs, et le sang est après tout quelque chose, quoique, pour ma part, je m’élève au-dessus de ces préjugés. Elle eût tenu son rang au milieu de ces orgueilleux et stupides personnages de l’Hampshire, bien mieux que la malheureuse fille du quincaillier. »