grande armoire le dictionnaire d’usage, miss Jemima tira du sanctuaire deux exemplaires de l’ouvrage en question, et, quand miss Pinkerton eut achevé sa dédicace sur le premier, Jemima d’un air hésitant et timide, lui tendit le second.
« Et pour qui celui-là, miss Jemima ? dit miss Pinkerton avec une froideur imposante.
— Mais… pour Becky Sharp, répondit Jemima toute tremblante, et la rougeur lui montait à travers les rides de sa face et de son cou ; pour Becky Sharp, car elle s’en va aussi.
— Miss Jemima ! s’écria miss Pinkerton, comme si sa bouche eût ouvert passage à des majuscules, êtes-vous bien dans votre bon sens ? Remettez le dictionnaire à sa place, et à l’avenir ne vous avisez plus de prendre de telles libertés.
— Cependant, ma sœur, vous n’en auriez que pour vingt-deux sous ; et cette pauvre Becky sera bien malheureuse si vous ne lui faites pas ce présent.
— Envoyez-moi sur-le-champ miss Sedley, » dit miss Pinkerton.
Sans hasarder une parole de plus, la pauvre Jemima sortit tout en désordre, les nerfs bouleversés.
Le père de miss Sedley était un marchand de Londres qui vivait dans une certaine aisance. Quant à miss Sharp, c’était une élève reçue gratuitement, pour laquelle miss Pinkerton pensait avoir déjà bien assez fait, sans lui accorder encore à son départ la haute faveur du dictionnaire.
Les lettres des maîtresses de pension ont droit à peu près à autant de confiance que les épitaphes des cimetières. Cependant, de même qu’il se trouve parfois au nombre des personnes défuntes un mort qui mérite réellement les éloges que le marbrier prodigue à ses os, un mort qui fut bon chrétien, bon père, bon fils, bon époux et qui, au moment de son décès, laisse une famille inconsolable pour pleurer sa perte, de même, dans les institutions de garçons comme de filles, on peut de temps à autre mettre la main sur un élève vraiment digne des éloges que lui accorde un maître désintéressé. Et certes, miss Amélia Sedley était un de ces rares sujets, et méritait non-seulement tout ce que miss Pinkerton disait à sa louange, mais encore elle avait nombre de charmantes qualités que notre solennelle et vieille matrone ne pouvait apercevoir, par suite de la différence d’âge et de rang, qui existait entre elle et son élève.