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l’esprit à tous, répondit Firkin ; sir Pitt aurait bien voulu la garder avec lui, mais il n’ose rien refuser à miss Crawley. Mistress Bute, au presbytère, n’en est pas moins entichée ; ils en sont tous à ne pouvoir se passer d’elle. Le capitaine l’aime à la folie, et M. Crawley en est jaloux. Depuis que miss Crawley a eu son indisposition, elle ne veut plus souffrir auprès d’elle que miss Sharp. Expliquez-moi cela, car pour moi je n’y comprends rien. On dirait qu’elle les a tous ensorcelés. »

Rebecca passa la nuit entière au chevet de miss Crawley. La nuit suivante, la bonne dame dormait d’un si profond sommeil que Rebecca eut le temps de prendre plusieurs heures de repos sur un sofa, au pied du lit de sa protectrice. Peu de jours après miss Crawley se trouva si bien qu’elle eut la force de se lever, et, pour son plus grand divertissement, Rebecca lui donna traits pour traits la représentation de miss Briggs et de sa douleur. Ses sanglots étouffés, sa manière de se frotter la face avec son mouchoir, tout cela fut rendu avec un si admirable naturel que miss Crawley reçut de la façon la plus gaie la visite des docteurs, ce qui les étonna davantage, car ils trouvaient toujours cette enfant du siècle en proie au plus terrible abattement, à toutes les horreurs de la mort, dès qu’elle éprouvait le moindre malaise.

Le capitaine Crawley ne manquait pas un seul jour de venir, et Rebecca lui faisait le bulletin de la santé de sa tante. La convalescence fut si rapide que bientôt la pauvre miss Briggs fut admise au bonheur de voir son amie. Les personnes au cœur sensible pourront seules se faire une idée des émotions larmoyantes de ce tempérament sentimental et du caractère touchant de cette entrevue.

Miss Crawley eut du plaisir à voir miss Briggs. Rebecca contrefaisait la pauvre fille à sa barbe avec une admirable gravité, et la caricature n’en était que plus piquante pour sa vénérable protectrice.

Les causes de la déplorable indisposition de miss Crawley et de son départ de la maison de son frère sont d’une nature si peu romantique, qu’on serait gêné de les expliquer dans un roman destiné à une société élégante et sentimentale. Comment, en effet, faire comprendre à une femme délicate et du grand monde que miss Crawley avait trop bu et trop mangé, et que l’abus du homard à un souper de la cure était l’origine