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ses propriétés, à ses fermes, à ses parcs, à ses jardins, à ses écuries, et sa compagnie était devenue si agréable au baronnet, que dans sa promenade après le déjeuner il manquait rarement de l’emmener, elle et les enfants. Alors elle lui donnait son avis sur les arbres à tailler, sur les plates-bandes à retourner, sur les moissons à couper, sur les chevaux à mettre à la charrette ou au labourage.

Avant d’avoir passé une année à Crawley-la-Reine, Rebecca avait conquis l’entière confiance du baronnet. Et la conversation du dîner, qui, auparavant, se passait toute entre lui et M. Horrocks, avait lieu presque exclusivement entre sir Pitt et miss Sharp. En l’absence de M. Crawley, elle se trouvait presque la maîtresse du logis. Toutefois, dans sa nouvelle et brillante position, elle savait se conduire avec assez de prudence et de retenue pour ne point blesser les puissances de la cuisine et de la basse-cour ; au contraire, elle s’y montrait toujours modeste et affable. Ce n’était plus cette petite fille hautaine, mécontente, dédaigneuse, que nous avons connue tout d’abord.

Cette métamorphose de caractère indiquait une grande sagesse ou un sincère désir de s’améliorer ou du moins une grande puissance morale de sa part. Mais était-ce bien le cœur qui inspirait ce nouveau système de déférence et de soumission adopté par notre Rebecca ? Le reste de l’histoire nous le dira. Qui croirait cependant qu’une personne de vingt et un ans puisse suivre pendant longtemps, sans se démentir, un système d’hypocrisie ? Nos lecteurs nous rappelleront que, jeune d’années, notre héroïne était vieille dans l’expérience de la vie, et ce récit manquerait son but si on n’avait pas la preuve que c’était une femme des plus habiles.

Les deux fils de la famille Crawley étaient comme la pluie et le beau temps ; on ne les voyait jamais ensemble au château. Ils se détestaient cordialement. Rawdon Crawley, le cadet, avait un profond mépris pour la demeure paternelle et n’y venait que lors de la visite annuelle de sa tante.

Nous avons déjà mentionné les excellentes qualités de cette vénérable dame : elle possédait soixante-dix mille livres et avait presque adopté Rawdon. Elle ressentait une aversion profonde pour l’aîné de ses neveux, et le méprisait comme une espèce de poule mouillée. En retour, ce dernier n’hésitait pas à vouer l’âme de sa vieille tante à la damnation éternelle et,