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Voulez-vous faire peser sur l’enfant la réprobation dont vous avez frappé le père ? Non, non, pour l’amour de George vous pardonnerez à cette innocente créature. »

Osborne éclata alors en mille imprécations contre son fils, tout en ayant soin de justifier sa conduite. Pour mieux se disculper de ses rigueurs auprès de sa conscience, il s’efforçait d’exagérer la désobéissance de son fils. On ne pouvait citer, dans les Trois-Royaumes, un père qui ait usé d’une si grande patience contre son fils rebelle et coupable, qui, avant de mourir, n’avait pas même voulu avouer ses torts. Les conséquences de son insoumission et de sa folie devaient avoir leur cours. Quant à lui, M. Osborne, il n’avait qu’une parole et s’y tenait. Il avait juré de ne jamais parler à cette femme, de ne jamais la reconnaître comme épouse de son fils.

« Et je vous autorise à lui répéter cela, dit-il en insistant sur ces derniers mots ; c’est une résolution dans laquelle je resterai inébranlable jusqu’à mon dernier soupir. »

Il fallait donc, de ce côté, renoncer à tout espoir. La veuve de George n’avait plus à compter que sur ses faibles ressources et l’assistance qui pourrait lui venir de Joe.

« Il n’y a pas à lui cacher ce triste résultat, pensa Dobbin avec un serrement de cœur ; car maintenant elle est indifférente à tout. »

En effet, cette pauvre femme restait anéantie sous le poids de son malheur : le chagrin l’avait, pour ainsi dire, privée de sentiment ; le bien ne la touchait pas plus que le mal ; et, quant aux marques de bienveillance et d’amitié qu’on s’efforçait de lui prodiguer autour d’elle, elle ne pouvait triompher de cette espèce d’assoupissement moral où l’avait plongé l’excès de sa douleur.

Après avoir déjà surpris et raconté quelques-unes des poignantes émotions qui déchirent ce tendre cœur, tirons le voile sur ce triste spectacle. Éloignons-nous avec précaution de cette couche d’amertume où repose cette âme affligée. Fermons doucement la porte de cette chambre confidente de ses amères souffrances ; laissons-la aux soins de ces êtres dévoués qui veillèrent au chevet de la pauvre femme jusqu’au moment où le ciel lui envoya ses consolations.

Il vint enfin ce jour où la veuve affligée put, dans sa joie mêlée de regrets, serrer contre son sein un enfant, un enfant