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Deux jours après cette petite scène, par un temps pluvieux et maussade, Amélia, qui avait passé la nuit à écouter les mugissements de la tempête et à plaindre les pauvres voyageurs qui se trouvaient alors en route sur terre ou sur mer, Amélia se leva de bonne heure et voulut à toute force aller faire avec Georgy une promenade sur la jetée. Elle semblait défier la pluie qui venait par rafales lui fouetter la figure, et tenait ses yeux fixés sur la ligne noire qui, à l’horizon, marquait les limites de la mer ; ensuite elle contemplait les vagues bondissantes qui venaient en mugissant se briser sur le rivage, et n’ouvrait la bouche que pour répondre aux paroles encourageantes ou sympathiques que lui adressait de temps à autre son jeune protecteur.

« J’espère qu’il ne se sera pas risqué à faire la traversée d’un temps pareil, disait Emmy.

— Et moi, je parie le contraire, et dix contre un, lui répondit le petit bambin ; tenez, ma mère, voyez de ce côté, distinguez-vous la fumée du paquebot ? »

L’enfant ne se trompait pas ; le bateau s’annonçait par une longue traînée de fumée ; mais qui pouvait répondre que Dobbin fût à bord, qu’il eût reçu la lettre, et que l’ayant reçue il se fût décidé à venir ; mille craintes assaillaient ce pauvre petit cœur, aussi tumultueuses que les vagues qui se brisaient en écume contre les pierres de la jetée.

Bientôt il fut possible d’apercevoir le paquebot lui-même, George avait une longue-vue avec laquelle il réussit, avec assez d’adresse, à découvrir le bâtiment. Il se mit, avec l’aplomb d’un marin expérimenté, à commenter la marche du navire qu’on voyait s’enfoncer, puis se redresser sur les vagues de la mer. On hissa au haut du mât de la jetée le signal qui indiquait qu’un navire anglais était en vue ; le cœur d’Amélia fut en ce moment saisi de la plus vive anxiété.

Emmy voulut, à son tour, regarder dans le télescope, en l’appuyant sur l’épaule de Georgy ; mais elle ne distinguait rien du tout. Elle n’apercevait qu’un grand point noir qu’elle voyait monter et descendre, George reprit la lunette et eut bien vite retrouvé le navire.

« Ils sont joliment secoués, disait-il, voilà une vague qui les prend en flanc. Il n’y a que deux personnes sur le pont avec les gens de l’équipage. L’un d’eux est couché, l’autre est de-