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bons pour s’enfoncer dans cette ligne de conduite où la poussait son aveuglement.

Lorsqu’enfin, dans l’après-midi, le major eut obtenu la permission de se présenter chez elle, au lieu de l’accueil cordial et ouvert auquel elle l’avait habitué depuis si longtemps, il ne reçut d’elle qu’un salut froid et cérémonieux ; on lui présenta une petite main gantée qu’on retira presque aussitôt de la sienne.

Rebecca, qui se trouvait dans la même pièce, s’avança vers Dobbin avec un sourire caressant et lui tendit la main. Dobbin retira la sienne, en proie à une agitation que trahissait sa figure.

« Pardonnez-moi, Madame, lui dit-il, il est de mon devoir de vous déclarer que si je me trouve ici, ce n’est nullement un sentiment d’amitié pour vous qui m’y amène.

— Que diable, s’il vous plaît, laissons tout cela de côté, fit Jos désirant éviter une scène.

— Je ne sais trop ce que le major Dobbin pourrait avoir à dire contre Rebecca ? fit Amélia d’une voix nette, quoique légèrement émue. Et elle jeta sur lui un regard très-résolu.

— Je ne veux point de toutes ces discussions-là chez moi, reprit de nouveau Joseph, entendez-vous, Dobbin ? je vous en prie, restons-en là. »

Puis, après avoir jeté un regard autour de lui et poussé un gros soupir, il se dirigea tout rouge et tout tremblant vers la porte de sa chambre.

« Ma chère amie, dit Rebecca avec une douceur angélique, je vous prie, ne vous refusez pas à entendre les accusations que le major Dobbin vient porter contre moi.

— Quant à moi, je ne veux rien entendre, s’écria Jos sur un ton de fausset, et, s’enveloppant dans sa robe de chambre, il s’élança hors de la pièce.

— Maintenant que vous n’avez plus devant vous que des femmes, il n’y a plus rien qui puisse retenir vos paroles, monsieur, lui dit Amélia.

— Amélia, répondit le major d’un ton de dignité blessée, pouvez-vous bien parler ainsi, et surtout à moi, à moi qui suis sûr de n’avoir à me reprocher aucun mauvais procédé à l’égard d’une femme ; et en cette circonstance, ce n’est point un plaisir qui m’amène auprès de vous, c’est un devoir que je viens y remplir.