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conspiration de ce traître de Wenham contre l’innocence et la vertu de mistress Crawley.

« Si vous aviez pour deux liards de cœur, monsieur Eagles, disait-elle à son mari, vous tiendriez une paire de soufflets toute prête pour ce drôle la première fois que vous le rencontreriez au club. »

Mais M. Eagles était déjà d’un certain âge et d’une humeur peu belliqueuse ; par état mari de mistress Eagles, par goût géologue, et d’une taille peu pyramidale, il ne voulait prendre qui que ce fût par les oreilles.

Mistress Eagles, après avoir ainsi placé mistress Rawdon sous sa haute protection, voulut qu’elle l’accompagnât à Paris et se fâcha contre la femme de l’ambassadeur, qui refusait de recevoir sa protégée ; en un mot elle ne négligea rien de ce qui était humainement possible pour attirer à Becky tout la respect que mérite une personne vertueuse.

Becky eut pendant quelque temps la tournure d’une personne fort rangée et fort respectable ; mais cette nécessité d’observer si rigoureusement les convenances lui devint bientôt d’un ennui mortel. Les journées se ressemblaient avec une monotonie désespérante : c’était un bien-être fastidieux à force de régularité ; chaque jour, même promenade en voiture dans le même bois, aux environs de Boulogne ; même société tous les soirs ; même sermon de Blair tous les dimanches : on eût dit une comédie qu’on s’empressait de recommencer sitôt qu’elle était finie. Becky en avait par-dessus la tête. Par bonheur, arriva de Cambridge le jeune Eagles ; mais sa mère s’étant bientôt aperçue de l’impression produite sur lui par sa jeune amie, notifia à Becky que rien désormais ne la retenait plus.

Elle songea alors à tenir une maison avec une autre personne de son sexe ; mais leur temps se passa à se quereller ou à faire des dettes. Puis ensuite Becky essaya de la pension bourgeoise ; elle entra dans la fameuse maison tenue par Mme  de Saint-Amour, rue Royale, à Paris ; et là elle commença à faire l’essai de ses grâces et de leur puissance séductrice sur les dandys un peu râpés et les beautés équivoques qui fréquentaient les salons de la maîtresse de la maison. Becky aimait la société ; elle en avait besoin à tout prix, comme un fumeur d’opium ne peut se passer de sa pipe, et en somme elle fut assez satisfaite du temps qui s’écoula pour elle dans cette pension bourgeoise.