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dans cette humble demeure où les Sedley avaient vécu dix années de leur vie, une scène des plus touchantes. La voiture de Jos, non pas celle d’apparat, une autre qu’il avait louée temporairement, pour attendre qu’on eût fini de construire celle dont nous avons parlé, vint prendre un matin le vieux Sedley et sa fille pour ne plus les ramener dans cette demeure. Les larmes que le maître et la maîtresse du logis et leur fille versèrent en cette occasion furent aussi sincères qu’aucune de celles qui ont été versées dans le cours de cette histoire. Pendant cette longue durée de rapports journaliers et intimes, ils ne pouvaient se rappeler une dure parole sortie de la bouche d’Amélia. En toute occasion même douceur et même bonté ; même égalité de caractère, jusque dans les circonstances où miss Clapp s’était montrée la plus exigeante et avait réclamé son loyer avec une certaine aigreur. Lorsque cette excellente et bonne créature fut sur le point de la quitter pour tout à fait, la maîtresse de la maison se reprocha son excessive dureté. Elle avait les larmes aux yeux en fixant sur le volet, avec des pains à cacheter, l’écriteau qui annonçait la vacance de ses petites chambres ; jamais, jamais elle ne pouvait espérer de revoir de pareils locataires, et la suite ne confirma que trop ce funeste pressentiment. Miss Clapp se vengea de la perversité de l’espèce humaine en levant sur ses locataires de très-lourdes contributions pour le thé et les rôties ; le plus souvent ils faisaient la moue et grognaient beaucoup, quelques-uns ne payaient pas, et aucun d’eux ne restait. La maîtresse du logis se prenait alors à regretter ses vieux et fidèles amis.

Quant à miss Mary, le jour du départ d’Amélia, son chagrin fut tel, que nous renonçons à le dépeindre. Depuis son enfance, elle ne l’avait pas quittée un seul jour, et avait pour elle une passion si vive et si tendre, que lorsque la voiture vint chercher Amélia, la jeune fille s’évanouit presque dans les bras de son amie, dont l’émotion n’était pas moins grande que la sienne. Amélia aimait miss Clapp comme sa fille ; pendant onze ans elle l’avait eue pour confidente de ses pensées et de ses peines. La séparation fut donc des plus déchirantes pour toutes les deux. Il fut du moins convenu que Mary irait voir souvent miss Osborne dans la grande maison qu’elle allait occuper, et où Mary était sûre qu’elle ne serait jamais aussi heureuse que sous l’humble toit qu’elle quittait.