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cle que lui opposait le cerbère en livrée, elle s’élança vers le cabinet de sir Pitt, où le baronnet resta pendant quelques secondes, tout surpris de cette apparition soudaine. Il devint tout rouge à sa vue, et fit un mouvement en arrière en lui jetant un regard qui exprimait à la fois la crainte et la répulsion.

« Ah ! ne me regardez pas ainsi, Pitt, lui dit-elle ; au nom de votre ancienne amitié. Non, je ne suis point coupable ; devant Dieu, je ne suis point coupable. Oui, malgré ces apparences qui sont contre moi, malgré ce concours de circonstances qui déposent contre moi, c’est au moment où j’allais voir toutes mes espérances réalisées que tout vient à s’écrouler autour de moi.

— C’est donc vrai, ce que j’ai vu dans le journal, dit sir Pitt, qu’un article du même jour avait grandement surpris.

— Rien de plus vrai. Lord Steyne m’en a donné la première nouvelle vendredi soir, à ce bal de funeste mémoire. Depuis six mois on le remettait toujours de promesses en promesses. M. Martyr, le secrétaire d’État des colonies, lui avait annoncé la veille que la nomination était signée ; et sur ces entrefaites est arrivée cette malheureuse arrestation, et puis cette déplorable bataille. Tout mon crime est d’avoir été trop dévouée aux intérêts de Rawdon. Il m’est arrivé plus de cent fois de recevoir lord Steyne tout seul. Quant à cet argent dont Rawdon ignorait l’existence, je ne l’avais mis en réserve que parce que je n’osais point le confier à Rawdon, car vous savez combien il est dissipateur. »

Elle continua sur le même ton à lui débiter une histoire qui témoignait de son art parfait, et qui agita profondément les fibres sensibles de son tendre et cher beau-frère. Voici en quelques mots le résumé de l’histoire qu’elle lui fit : Becky reconnaissait avec la plus touchante franchise et la plus parfaite contrition, que s’étant aperçue des sentiments qu’elle avait inspirés à lord Steyne (et nous disons en passant que cet aveu fit beaucoup rougir sir Pitt), elle avait résolu, tout en sauvegardant sa vertu, de tirer profit, pour elle et sa famille, de la passion naissante du noble pair.

« Ainsi, pour vous je voyais déjà la pairie, dit-elle à son beau-frère dont la rougeur redoubla encore ; nous avions même déjà eu avec lord Steyne quelques conversations à ce sujet. Vos talents et l’intérêt que vous porte le noble lord, rendaient