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périeur dans la chambre des enfants, occupée à surveiller leur toilette ; puis, prenant ces petits êtres sur ses genoux, elle leur faisait réciter leur prière. Elle ne négligeait jamais de leur faire remplir régulièrement ce pieux devoir, avant la prière en commun, présidée par sir Pitt lui-même, et à laquelle assistaient tous les gens de la maison. Rawdon s’assit près du bureau du baronnet, où se trouvaient des brochures, des lettres disposées avec un ordre parfait, des paperasses, des imprimés soigneusement étiquetés, des cartons pour les factures et les correspondances. On voyait encore sur le bureau une Bible, le Quaterly Rewiew, l’Annuaire de la Cour. On s’apercevait que tout cela avait passé sous l’œil du maître.

Au premier coup de neuf heures que sonna la grande pendule en marbre noir, sir Pitt apparut sur le seuil de la porte de son cabinet, frais comme une rose, le menton bien rasé ; on eût dit une figure de cire plantée sur une cravate à l’empois. Ses cheveux étaient peignés, pommadés et parfumés ; il avait achevé ses ongles tout en descendant l’escalier d’un pas majestueux, et sous sa robe de chambre couleur cendrée il possédait tout à fait la mise d’un gentilhomme anglais de vieille roche. Il fit un mouvement de surprise en apercevant dans son cabinet le pauvre Rawdon avec les vêtements en désordre, les yeux injectés de sang, les cheveux tout hérissés. Il pensa d’abord que son frère était ivre et que c’étaient là les traces d’une orgie.

« Mon Dieu ! Rawdon, lui dit-il, que voulez-vous avec cette figure toute décomposée ? qui vous amène de si bonne heure ? pourquoi n’êtes-vous point chez vous ?

— Chez moi ! dit Rawdon avec un rire sauvage ; n’ayez pas peur, Pitt, j’ai mon sang-froid. Fermez la porte, j’ai à vous parler. »

Pitt ferma la porte et revint à son bureau, se plaça dans un fauteuil à côté de son frère, et se mit à limer ses ongles avec une dextérité sans égale.

« Pitt, reprit alors le colonel après une pause, c’en est fait de moi : je suis perdu sans ressources.

— C’est la fin que je vous avais toujours prédite, s’écria le baronnet d’un ton bourru et en battant le rappel avec ses ongles, dont le poli lui paraissait désormais satisfaisant. Vous ne viendrez pas me dire que je ne vous ai pas averti. Il m’est