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pensa qu’il devait y voir un reproche sur sa dissimulation trop prolongée.

« Hélas ! lui dit-il, d’une voix suppliante et les yeux attachés sur le sol, vous n’aimerez plus maintenant votre vieux père.

— Oh ! mon père, s’écria Amélia en lui passant les bras autour du cou et en le couvrant de ses baisers, oh ! mon père, une pareille pensée a-t-elle pu se présenter à votre esprit ! Je ne puis avoir devant les yeux que votre bonté et votre tendresse, et si vous avez agi de la sorte, c’était sans doute pour notre plus grand bien. Ah ! si je vous en parle, ce n’est pas à cause de l’argent, mais c’est… Mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de moi, et donnez-moi la force de supporter cette épreuve ! »

Puis, au milieu de ses sanglots, elle couvrit son père de baisers, et finit par sortir de la pièce. Son père n’entendit rien à ces paroles vagues et incohérentes, à cette explosion de douleur, à cette brusque sortie.

Elle se résignait ; elle acceptait son arrêt ; l’enfant allait la quitter pour passer en d’autres mains, où peut-être il ne serait pas longtemps avant de l’avoir oubliée. L’objet de son amour, son cher trésor, sa joie, son espérance, sa vie, son orgueil, son idole, elle allait perdre tout cela, et alors elle n’aurait plus qu’à rejoindre George dans le ciel, et de là à veiller avec lui sur cet enfant et attendre le jour où il se réunirait à eux.

Tout hors d’elle-même, et sans presque savoir ce qu’elle faisait, Amélia mit son chapeau, et partit au-devant de George par la route qu’il suivait d’habitude pour revenir de l’école et où sa mère allait souvent à sa rencontre. C’était un jour de demi-congé, on était alors au mois de mai ; les feuilles commençaient à couvrir les arbres, le ciel était pur et transparent. L’enfant, dès qu’il aperçut sa mère, courut au-devant d’elle pour l’embrasser ; un air de santé et de joie était répandu sur sa figure ; son paquet de livres pendait à son côté, retenu par une courroie. En un clin d’œil, il fut suspendu à son cou, la serrant étroitement dans ses bras. Oh ! alors elle sentit toute sa résolution faiblir. Quel cœur assez barbare aurait pu songer à séparer ces deux êtres ?

« Qu’avez-vous donc, ma mère, lui demanda-t-il, vous êtes toute pâle ?