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auxquels elle livrait ses parents, elle se convainquait de la faiblesse des arguments par lesquels elle aurait voulu se persuader encore qu’elle pouvait garder auprès d’elle le cher trésor de son amour.

Sous le coup de ces terribles épreuves, de ces cruelles anxiétés, elle avait écrit à son frère pour le conjurer de rendre à ses parents la petite pension qu’il leur avait servie jusque-là ; elle lui peignait avec toute l’éloquence de la vérité le dénûment et l’abandon auxquels ils en étaient réduits. Hélas ! la pauvre femme ignorait tout ce que la réalité avait encore d’amer et de navrant. Jos n’avait pas cessé d’envoyer exactement la même somme à ses parents ; mais elle allait désormais se perdre entre les mains d’un usurier de la Cité. Le vieux Sedley avait vendu ses droits à cette rente pour se procurer un petit capital et se livrer à de nouvelles entreprises chimériques. Emmy calcula avec une poignante douleur le temps qui allait s’écouler avant qu’elle reçût une réponse. Quant au bon major qui se trouvait alors à Madras, elle ne lui faisait point part de ses chagrins et de ses soucis. Elle ne lui avait plus écrit depuis la lettre où elle le félicitait sur son prochain mariage ; mais du moins elle pensait avec un sentiment de désespoir que le seul ami qu’elle avait toujours trouvé fidèle et dévoué se trouvait précisément loin d’elle à l’heure de la détresse.

Un jour enfin, où l’horizon paraissait plus menaçant encore, où les créanciers se montraient plus pressants que jamais, où sa mère se livrait aux boutades de son humeur revêche, où son père paraissait plus triste et plus sombre qu’à l’ordinaire, où chacun des habitants de la maison se fuyait et s’évitait comme pour se soustraire à la triste et douloureuse réalité, le père et la fille se trouvèrent seuls un moment. Amélia espéra ranimer le courage de son père en lui parlant de la lettre qu’elle avait écrite à Jos, de la réponse qu’elle attendait d’ici à trois ou quatre mois. Malgré son insouciance, Jos avait le cœur bon et ne se sentirait pas la force de lui refuser quand il saurait dans quelle déplorable situation se trouvait sa famille.

Alors le malheureux vieillard avoua à sa fille toute la vérité, la rente n’avait pas cessé d’être payée par son fils, mais il avait eu l’imprudence de l’aliéner ; le cœur lui avait manqué pour annoncer plus tôt cette nouvelle à Amélia. En voyant, à cet aveu, la figure consternée de sa fille, le pauvre vieillard