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M. Joseph, absent dans l’Inde. Les années n’avaient fait qu’ajouter au prestige de ces souvenirs, et toutes les fois qu’on l’appelait de la cuisine pour prendre le thé ou le grog avec M. Sedley, il disait avec un soupir :

« C’était le bon temps, monsieur, quand nous faisions ainsi. »

Puis, avec un air de gravité respectueuse, il buvait à la santé des dames comme aux jours de la plus grande prospérité ; à son sens, il n’y avait pas, en musique, de talent comparable à celui de M’me M’élia ; personne ne la valait pour la beauté ; jamais il n’aurait consenti à s’asseoir devant Sedley, même au club ; jamais il n’aurait souffert qu’en sa présence on parlât mal de son patron. Il avait vu, disait-il, les plus grands personnages de Londres donner des poignées de main à M. Sedley. Il l’avait connu dans le temps où, tous les jours, on pouvait le voir à la Bourse, donnant le bras à Rothschild ; enfin, pour son compte, il lui était redevable de tout.

Clapp avait pu, grâce à sa belle écriture et à la forme de ses jambages, trouver un emploi peu après le désastre de son maître.

« Un petit poisson comme moi, disait-il, trouve toujours assez d’eau pour son usage. »

Un associé de la maison dont le vieux Sedley avait été obligé de se retirer fut enchanté d’employer M. Clapp et de reconnaître ses services par de larges appointements. Tous les amis opulents de Sedley s’étaient discrètement éclipsés les uns après les autres ; cet humble et modeste serviteur lui resta seul fidèle jusqu’au bout.

Il fallait toute l’économie et le soin que la pauvre veuve y mettait, pour suffire, avec la faible portion de revenu qu’elle se réservait, à habiller son cher enfant comme il convenait de l’être au fils de George Osborne, à payer les mois de la petite pension où, après une vive répugnance et bien des craintes et des luttes secrètes, elle s’était enfin résignée à envoyer le petit bonhomme. Plus d’une fois elle avait veillé bien avant dans la soirée pour étudier les leçons, déchiffrer les grammaires et les livres de géographie, afin d’enseigner ensuite à George ce qu’elle venait elle-même d’apprendre. Elle avait même touché au latin, se berçant de la douce illusion qu’elle finirait par en savoir assez pour apprendre enfin cette langue à George.

Vivre loin de lui toute la journée, le livrer à la férule d’un