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XI

L’INCONGRU

La βδελυρία n’est pas difficile à définir ; c’est une façon de plaisanter choquante et qui s’étale. [2] Et voici quelle sorte d’homme est le βδελυρός (l’incongru)[1]. Rencontre-t-il des femmes libres, il se retrousse de façon à exhiber sa virilité. [3] Au théâtre, il bat des mains quand les autres s’arrêtent ; il siffle les acteurs qui ont la faveur du public ; au milieu du silence général, se renversant en arrière, il lâche un hoquet pour obliger toute l’assistance à se retourner. [4] Sur le marché, à l’heure de la plus grande affluence, il s’approche des boutiques où l’on vend des noix ou des baies de myrte ; et là, debout, il grappille sur l’étal, en faisant la causette avec le marchand. Une personne passe qu’il ne connait pas : il l’interpelle par son nom. [5] Une autre arrive d’un air pressé : il l’engage à s’arrêter. [6] Un plaideur sort du tribunal, où il a perdu un gros procès : il l’aborde et lui présente ses félicitations. [7]. C’est lui qui fait en personne[2]

  1. Le personnage décrit dans ce caractère n’est pas seulement grossier, mal élevé (ce qui est le sens ordinaire du mat βδελυρός) ; c’est en même temps un mauvais plaisant, un farceur. Il m’a semblé que le mot français « incongru » réunissait ces deux sens. Une autre traduction, qui conviendrait mieux peut-être à certains traits, serait « le voyou ».
  2. Il n’était pas malséant pour un Athénien d’aller lui-même au marché ; mais il se faisait accompagner, en ce cas, d’un esclave pour rapporter les provisions (IX, 4 ; X, 12 ; XVII, 2 ; XXII, 7).