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« Je te quitte, » il est capable de vous suivre et de vous reconduire jusqu’à votre porte. [6] L’interroge-t-on sur ce qui s’est passé à l’assemblée, il ne se borne pas à en faire le récit ; il continue par celui de la fameuse lutte entre les deux orateurs qui eut lieu jadis sous l’archonte Aristophon, et…[1] ; ensuite il passe aux harangues qu’il a lui-même prononcées autrefois, et avec tant de succès, devant le peuple ; et il entre-mêles a narration d’invectives contre la multitude : en sorte que ses auditeurs oublient à mesure ses paroles, ou bien s’endorment, ou bien lui quittent la place et s’en vont. [7] Au tribunal il empêche ses voisins de juger, au théâtre de regarder, à table de manger : il avoue que le silence, pour un bavard de son espèce, est un supplice ; que sa langue est comme un poisson dans l’eau[2] ; et que, au risque de passer pour plus bavard qu’une hirondelle, il ne saurait se taire. [8] Il supporte même là-dessus les railleries de ses propres enfants, qui, quand le sommeil leur vient, ne manquent pas de l’exciter à parler : « Papa, raconte-nous quelque histoire qui nous fasse dormir ».


  1. Ces deux orateurs sont Démosthène et Eschine : allusion au procès de la Couronne, plaidé en effet sous l’archontat d’Aristophon (330 av. J.-C.). Suit une phrase tronquée ; il y était, semble-t-il, question de la célèbre séance de l’assemblée du peuple, où, sous la pression du Lacédémonien Lysandre, les Athéniens furent contraints de substituer à la démocratie le régime oligarchique des Trente tyrans (404 av. J.-C).
  2. Littéralement « que sa langue est dans l’humide ».