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V

LE COMPLAISANT

La complaisance, si on veut la définir, est un commerce qui ne se soucie pas de l’honnête et ne vise qu’à procurer de l’agrément. [2] Et voici quelle sorte d’homme est le complaisant. Du plus loin qu’il aperçoit une personne, il la salue par son nom, la qualifie d’éminente, lui prodigue les compliments, la retient par les deux mains sans la lâcher ; et ce n’est qu’après lui avoir fait un bout de conduite et s’être informé du jour où il la reverra qu’il prend enfin congé, en la louant encore. [3] Appelé à un arbitrage, il se préoccupe de complaire non seulement à la partie qu’il représente, mais encore à l’adversaire, afin de paraître impartial[1]. [4] Parlant à des étrangers, il accorde qu’ils ont raison contre ses concitoyens[2]. [5] Invité à un repas, il prie son hôte de faire venir ses enfants[3] ; dès leur entrée, il déclare qu’une figue ne ressemble pas plus à une figue[4] que ces enfants à

  1. Les arbitres privés, où amiables compositeurs, étaient d’ordinaire au nombre de trois, deux choisis par les parties et un surarbitre désigné par les deux autres. Leur décision était sans appel.
  2. Soit dans un procès privé, soit dans un différend politique entre un État étranger et Athènes.
  3. En règle générale, les femmes et les enfants ne prenaient pas leurs repas avec les hommes.
  4. Le proverbe français correspondant dit : « se ressembler comme deux gouttes d’eau ».