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IV

LE RUSTRE

La rusticité est, semble-t-il, une grossièreté qui ignore les bienséances. [2] Et voici quelle sorte d’homme est le rustre. Avant d’aller à l’assemblée, il absorbe son kykéon, [3] et… soutient qu’il n’y a pas de parfum qui vaille le pouliot[1]. [1] Il porte des souliers trop larges pour son pied. [5] Il a le verbe haut. [6] Défiant à l’égard de ses amis et de ses proches, il fait à ses domestiques la confidence de ses plus grands secrets ; et, quand il revient de l’assemblée, il raconte aux mercenaires qui travaillent dans ses champs tout ce qui s’y est passé. [7] En s’asseyant, il retrousse son manteau au-dessus du genou, sans souci de laisser apercevoir sa nudité. [8] Rien dans les rues[2] ne l’étonne ni ne le frappe ; mais qu’il rencontre un bœuf, un âne, un bouc, le voilà en arrêt pour les contempler. [9] A l’occasion, il ira à l’office pour y prendre son repas sur place. C’est un homme qui boit sec. [10] Il fait on cachette la cour à la boulangère, et l’aide ensuite à moudre la farine nécessaire à lui-même et à toute la maison[3]. [11] Tout en déjeunant, il va par la même occasion donner le

  1. Le kykéon (littéralement « mixture ») paraît avoir été un régal des paysans attiques : il y entrait du vin, de la farine, du miel, du pouliot (menthe sauvage). Dans la lacune supposée, un voisin se plaignait sans doute de l’odeur de pouliot qu’exhalait le rustre.
  2. De la ville, évidemment.
  3. Il s’agit d’une des servantes de la maison, affectée spécialement à la fabrication du pain.