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II

LE FLATTEUR

On peut définir la flatterie un commerce honteux, mais profitable au flatteur[1]. [2] Et voici quelle sorte d’homme est le flatteur. « Remarques-tu, dit-il à son compagnon de promenade, comme tout le monde a les regards fixés sur toi ? C’est une chose qui n’arrive à personne autre dans la ville, — Hier, on a fait ton éloge sous le Portique[2]. I y avait là plus de trente personnes rassemblées. La question s’étant posée, quel est le plus honnête homme de la ville, tous les assistants, à mon exemple, tombèrent d’accord sur ton nom. » [3] Et, tout en tenant ces propos, il enlève un duvet du manteau de son compagnon, ou bien il cueille sur sa barbe quelque brin de paille que le vent y a fait voler : « Tu vois, dit-il avec un sourire : depuis deux jours que je ne l’avais rencontré, voilà ta barbe toute semée de fils blancs. N’empêche qu’autant qu’un autre, pour ton âge, tu as encore le poil noir ! » [4] Et, dès que cette même personne prend la parole, il impose à tous silence. Si elle chante, il la complimente et, à chaque arrêt, s’écrie « bravo ! » A-t-elle fait quelque froide plaisanterie, il éclate de rire et s’enfonce son

  1. Dans le genre flatterie Théophraste distingue deux espèces : le κόλαξ, qui est guidé par le profit, et l'ἄρεσκος où complaisant (car. V),qui agit sans vue intéressée, par désir inné de plaire.
  2. Le portique du Pécile, une de ces galeries couvertes, pourvues de bancs en pierre, où se réunissaient volontiers pour causer les oisifs.Cf. VIII, 12 ; 14.