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INTRODUCTION

fois. À parler franc, la version de La Bruyère est fort médiocre et défigure fâcheusement l’original. Chose étrange, cet écrivain ailleurs si net, si incisif, si pittoresque, perd ici toutes ces qualités. Rien de plus lâché, de plus trainant que cette traduction : elle émousse tout ce que l’original a de vif, elle s’alourdit de paraphrases vagues, elle charrie même à l’occasion des lambeaux du commentaire de Casaubon. La Bruyère savait-il le grec, ou bien n’aurait-il interprété Théophraste qu’à travers la version latine de Casaubon ? C’est une question qu’on est en droit de se poser. Quoi qu’il en soit, la traduction de La Bruyère a desservi Théophraste auprès du public français, et elle me paraît être la cause principale du peu d’estime que professent trop généralement pour les Caractères grecs les lettrés qui ne les ont pas goûtés dans le texte. C’est dire que je n’ai pu faire que peu d’emprunts à mon illustre devancier. Je dois davantage aux interprètes plus récents, français[1], allemands[2], anglais[3], italiens[4]. La traduction des Caractères présente, d’ailleurs, des difficultés toutes spéciales, dont il faut dire un mot. La principale, c’est le nombre encore considérable des passages où le texte et, par suite, le sens restent mal établis. Une autre difficulté presque invincible tient à la composition extérieure des caractères. Chacun d’eux se ramène ordinairement à une phrase unique, parfois composée de vingt ou même de vingt-cinq propositions infinitives parallèles, dépendantes d’un même relatif (οίος), et dans chacune desquelles vient s’insérer sans enchevê-

  1. Traductions françaises de Coraï (1799), et de Stiévenart(1842).
  2. Édition et trad, de la Société philologique de Leipzig. Leipzig, 1897 (citée plus haut, p. 1, note 1).
  3. Édition et trad. de Jebb et Sandys, Londres 1909 (ire édit. par Jebb, 1870).
  4. Édition et trad. de Romizi, Florence, 1899.