Page:Tessan - Le Japon mort et vif, 1928.pdf/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

taire, pour le monsieur bien sage qui n’a pas voyagé, pour la belle petite Madame qui n’a connu que le soleil de Biarritz ou les nuées de Paris-Plage, c’est un monde.

C’est un monde passionnant ; c’est un théâtre aux mille actes divers, avec un magasin d’accessoires inépuisable : des forêts vierges, des îles de rêve, des pics arides, des déserts hallucinants, des baies paradisiaques, des fleuves sans fin et des lacs innombrables. Des hommes s'agitent dans ce décor sans cesse renouvelé ; des acteurs maquillés par la Nature ; les blancs y jouent les raisonneurs et les jaunes y excellent dans les rôles de traîtres… Les noirs puérils leur donnent la réplique et les rouges astucieux retardent l’épilogue.

Quand vous évoquez dans votre boudoir, dans le calme lénitif de la petite cité provinciale ou le tohu-bohu de la capitale qui s’agite, quand vous évoquez toute la terre, vous entrevoyez ces choses lointaines et ces hommes inconnus. Ils vous arrachent pour un temps aux cent préoccupations de votre vie de civilisés excessifs.

Le thé de cinq heures vous a paru soudain d’une banalité extrême. Ces charmantes amies qui brodaient des potins sur le canevas de la médisance n’étaient pas très spirituelles. Vous auriez peut-être donné une perle de votre collier pour être transportée tout à coup sous les ombrages parfumés d’Honolulu et pour voir le soleil plonger son orange éblouissante dans le vert jade du Pacifique dormant sous la brise du soir.