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idoles la stérilité de leurs jalouses supplications[1] ; les bains, les boutiques, sont fermés jusqu’à la neuvième heure. Il n’y a qu’un feu pour tous, celui qui brûle devant les autels. Il n’y a pas même d’eau dans les plats. Vous diriez le deuil public de Ninive. Quant au jeûne des Juifs, il est connu partout, puisque, n’ayant plus de temple, ils adressent au ciel leur prière, sur tous les rivages et dans un lieu découvert. Quoiqu’ils célèbrent cette cérémonie avec les vêtements et l’appareil de la douleur, ils n’en restent pas moins fidèles à leur abstinence, et attendent en soupirant que l’étoile du soir leur permette de rompre le jeûne. Mais j’aime à t’entendre, blasphémateur de nos mortifications, les comparer aux cérémonies sacrées d’Atys, d’Isis et de Cybèle. J’accepte la comparaison ; elle témoigne contre toi. Il en résulte que nos rites sont divins, puisqu’ils sont imités par le démon, qui se plaît à contrefaire ce qui est divin. Ainsi, plus le païen est disposé aux sacrifices, plus tu es irréligieux. Le païen immole sa gourmandise en l’honneur de son idole ; toi, tu n’en veux rien faire. Car tu as fait de ton ventre un dieu, de ton poumon un temple, de ton estomac un autel. Ton prêtre, c’est le cuisinier ; ton Saint-Esprit, c’est la fumée d’un plat ; tes grâces, se sont les sauces et les ragoûts ; ta prophétie, c’est le hoquet de la satiété.

XVII. Va, s’il faut dire la vérité, c’est toi qui es ancien ; puisque tu accordes tant à la gourmandise, tu as raison de réclamer ta priorité. Je le reconnais ; à te voir courir incessamment après les grives, arriver des larges plaines de la discipline la plus relâchée, et défaillir dans l’Esprit, tu sens toujours ton Esaù, le chasseur de bêtes fauves. Si je te présentais encore des lentilles cuites dans un vin doux, tu me vendrais sur-le-champ les droits d’aînesse, ton agape bouillonne dans la marmite ; ta foi s’échauffe dans les

  1. Le commentateur dit qu’ils cherchent par leurs supplications à piquer l’honneur des dieux, afin qu’ils les protègent de préférence à tous les autres.