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TERTULLIEN.

lutter par cette arme contre l’antique ennemi, et triompher de celui auquel il céda jadis une si facile victoire, la libéralité de Dieu n’éclaterait-elle pas en cette conjoncture bien plus que sa rigueur ? Arracher l’homme par la foi à l’avidité de Satan, était trop peu pour lui. Il a voulu qu’il pût fouler généreusement aux pieds l’orgueil de Satan, afin que la victime ne fût pas seulement soustraite à l’ennemi, mais qu’elle terrassât le vainqueur. Celui qui nous avait conviés au salut s’est fait un plaisir de nous convier à la gloire : aux joies de la liberté il a joint l’allégresse de la couronne.

Avec quel empressement nos cités célèbrent ses combats et ces joutes solennelles que la superstition, soutenue par le goût du plaisir, inventa autrefois chez les Grecs ; l’Afrique elle-même peut l’attester. Toutes les villes troublent encore de leurs applaudissements Carthage, gratifiée naguère des jeux pythiques, dans la vieillesse du stade. Ainsi, l’on a cru de tout temps que, pour enflammer l’émulation, accroître la force du corps, l’étendue de la voix, il convenait de donner aux athlètes la récompense pour but, des spectateurs pour juges, le plaisir pour aiguillon. À ce prix plus de fatigues, plus de blessures ! On se laisse battre, supplanter, déchirer, mettre en lambeaux, inonder de sang : en est-il un seul qui songe à reprocher au juge du combat d’exposer des hommes à la violence ? En dehors du stade, on demande réparation d’un outrage ; ici les coups et les meurtrissures disparaissent sous l’éblouissant prestige des couronnes et des applaudissements, des présents et des distinctions publiques, des images et des statues, de l’espérance de se survivre à soi-même dans le souvenir des hommes, et de la chimérique immortalité que l’on promet à son nom. Avez-vous jamais entendu l’athlète se plaindre de ses blessures ? non, sans doute, car il les a voulues. La couronne cache ses plaies ; la palme déguise son sang ; il est plus enflé de sa victoire que des outrages subis par son corps. Dites-moi : regarderez-vous