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TERTULLIEN.

trer. Tu viens d’entendre nommer la Conversion, autre espèce de Passion : c’est d’elle, assure-t-on, qu’a été formée l’âme de ce monde, l’âme elle-même du Démiurgue, c’est-à-dire l’âme de notre Dieu. Tu connais le Chagrin et la Crainte : ce sont eux qui ont donné naissance à toutes les autres créatures ; car la masse des eaux est venue des larmes d’Achamoth. Il est facile d’apprécier l’étendue de sa calamité par la multiplicité des eaux qui jaillirent d’elle. Elle en eut de salées, elle en eut d’amères, de douces, de chaudes, de froides, de bitumineuses, de ferrugineuses, de sulphureuses, d’empoisonnées ; de sorte que la source de Nonacris qui tua Alexandre, lui emprunta son venin, ainsi que celle de Lynceste, qui produit l’ivresse, et celle de Salmacis, qui amollit le courage. C’est Achamoth qui a versé les pluies du ciel en poussant des cris ; ce sont des douleurs et des larmes étrangères que nous prenons soin de conserver dans nos citernes. De même les éléments corporels ont été tirés de sa consternation et de sa frayeur. Toutefois, au milieu de son immense solitude, dans la vaste étendue de son abandon, elle riait de temps en temps, au souvenir qu’elle avait vu le Christ : de la joie de son sourire rayonna la lumière. Pourquoi ce bienfait de la Providence qui la forçait à sourire ? Était-ce pour que l’homme ne vécût pas toujours ici-bas dans les ténèbres ? Ne t’étonne pas que de sa joie ait jailli pour le monde un élément si lumineux, puisque de sa tristesse est émané pour le monde un agent si nécessaire. Ô rire qui illumine ! ô larme qui arrose ! Achamoth cependant avait là un remède à l’horreur de sa retraite. Toutes les fois qu’elle voulait en dissiper l’obscurité, elle n’avait qu’à sourire, ne fût-ce même que pour ne pas invoquer ceux qui l’avaient abandonnée.

XVI. Voilà en effet que, fidèle aux exemples maternels, elle recourt à la prière. Mais le Christ, auquel il répugnait de sortir une seconde fois du Plérôme, chargea le Paraclet de le remplacer. Il lui envoie donc Soter, ou