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du corps pour oublier, elle qui indubitablement antérieure au corps, n’a pas vécu par là même sans le temps ?

D’ailleurs oublie-t-elle aussitôt qu’elle est entrée dans le corps, ou quelque temps après ? Si elle oublie aussitôt, où est donc cette multitude d’années qu’on ne peut encore supputer, puisqu’il s’agit de l’enfance ? Si elle oublie quelque temps après, l’âme, dans cet intervalle, avant que soit venu le moment d’oublier, se ressouviendra donc encore : alors comment admettre qu’elle oublie ensuite, et puis se ressouvienne encore ? Quel que soit le temps où l’oubli fond sur elle, quelle mesure faut-il encore assigner à ce temps ? Le cours de la vie tout entière ne suffira pas, j’imagine, pour effacer la mémoire d’une vie si longue avant de s’unir au corps.

Mais voilà que Platon en attribue la cause au corps, comme s’il était croyable qu’une substance qui est née pût éteindre la vertu d’une substance innée. Or il existe entre les corps de grandes et nombreuses différences, par suite de la nationalité, de la grandeur, des habitudes, de l’âge, de la santé. Y aura-t-il aussi différentes espèces d’oubli ? Mais l’oubli est partout identique : donc ce ne sera pas le corps avec ses mille variétés, qui sera la cause d’un effet toujours semblable. Une foule de documents, suivant le témoignage de Platon lui-même, prouvent les pressentiments de l’âme : nous les avons déjà exposés à Hermogène. D’ailleurs quel est l’homme qui n’ait jamais senti son âme lui prédire par une sorte d’inspiration, un présage, un péril, une joie ? Si le corps n’est pas un obstacle à la divination, il ne nuira pas davantage à la mémoire, j’imagine. Un fait est certain : les âmes oublient et se souviennent dans le même corps. Si quelque influence du corps engendre l’oubli, comment admettra-t-elle le souvenir, qui est le contraire de l’oubli ? Puisque le souvenir lui-même, après l’oubli, est comme la résurrection de la mémoire, pourquoi ce qui s’oppose à la première mémoire n’est-il pas aussi