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inhérentes à la nature ne s’éteint pas, même dans les animaux. Sans doute le lion oubliera sa férocité, circonvenu et adouci par l’éducation : on le verra, déployant le luxe de sa crinière, devenir les délices de quelque Bérénice et lécher avec sa langue ses joues royales. Les bêtes se dépouilleront de leurs mœurs ; la notion de leurs instincts naturels ne s’effacera jamais. Le lion, par exemple, n’oubliera pas ses aliments naturels, ses remèdes naturels, ses frayeurs naturelles. Que sa reine lui offre des poissons ou des gâteaux, il désirera de la chair : s’il est malade, qu’elle lui prépare de la thériaque, il cherchera la femelle d’un singe : elle aura beau le rassurer contre l’épieu, il redoutera le chant d’un coq. De même, la connaissance des choses naturelles, seule inhérente à la nature, demeurera toujours indestructible chez l’homme, de tous les animaux peut-être le plus oublieux : il se souviendra toujours de manger dans la faim, de boire dans la soif, de voir avec ses yeux, d’écouter avec ses oreilles, d’odorer avec ses narines, de goûter avec sa bouche, et de toucher avec sa main. Les voilà donc ces sens que la philosophie aime à déprécier en assignant à l’intellect la prééminence ! Si donc la notion naturelle de ce qui concerne les sens demeure, comment alors peut défaillir celle de ce qui touche l’intellect, auquel on donne la supériorité ? Et puis d’où vient la puissance de l’oubli qui précéda le souvenir ? —De la longueur du temps qui s’est écoulé, me dit-on. —Réponse assez imprévoyante ! La quantité de temps n’a rien à démêler avec une chose que l’on déclare innée et que l’on croit par là même éternelle. Car ce qui est éternel parce qu’il est inné, n’admettant ni commencement ni cessation de temps, ne se prête à aucune mesure de temps. Ce qui ne se prête à aucune mesure de temps n’est soumis au temps par aucune altération, et peu importe la multitude des années. Si le temps est cause de l’oubli, pourquoi la mémoire s’échappe-t-elle depuis le moment où l’âme vient habiter le corps, comme si l’âme désormais avait besoin