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arracher la langue, afin que ses deux élèves, entièrement éloignés de la voix humaine, au lieu de former leur idiome d’après les sons qu’ils entendaient, parlent d’après eux-mêmes, et indiquent par un mot échappé à la nature, quelle était la plus antique nation. Or, le premier mot qu’ils prononcèrent fut BEKKOS ; et comme il signifie pain dans la langue phrygienne, on en conclut que les Phrygiens étaient le plus ancien de tous les peuples. Peut-être n’est-il pas hors de propos de vous démontrer l’impossibilité d’un pareil fait, pour vous prouver à quelles fables ridicules vous ajoutez foi, pendant que vous fermez les yeux à la vérité. Qui croira, en effet, qu’une femme ait pu vivre après qu’on lui eut arraché la langue, cet organe de la vie, et qu’on la lui eut coupée jusque dans la racine, de manière à blesser la gorge à l’intérieur, lorsqu’il est déjà si dangereux de la blesser à l’extérieur. Ajoutez à cela que le sang vicié a dû retomber dans la poitrine, et qu’enfin la suspension prolongée de toute espèce d’aliments aurait infailliblement amené la mort. Eh bien ! d’accord, elle a pu vivre, guérie par les remèdes d’une Philomèle dont les plus habiles expliquent le mutisme, non par la mutilation de sa langue, mais par la honte de l’outrage qu’elle avait subi. Si elle a vécu, elle a pu faire entendre un son confus, mal articulé, aigu, sans le secours des lèvres, et seulement en ouvrant la bouche. Il est facile de produire un son avec le gosier seul, et dans l’immobilité de la langue. Les enfants l’ayant recueilli, d’autant plus facilement qu’il était le seul, l’imitèrent, puis l’articulèrent un peu plus nettement, parce qu’ils avaient une langue, et lui attachèrent ensuite quelque signification.

Toutefois, que les Phrygiens soient le peuple le plus ancien, je vous l’accorde. S’ensuit-il que les Chrétiens soient la troisième race ? Quelle suite de nations entre les Phrygiens et nous ! Mais prenez garde que ceux que vous appelez une troisième race d’hommes, n’aient le premier rang, puisqu’il n’y a pas de nations qui ne comptent des Chrétiens ;