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elle grandit en passant rapidement d’une langue à une autre langue, d’une oreille à une autre oreille : l’obscurité de son berceau ne sert qu’à jeter plus d’incertitude sur ses rumeurs. On ne s’avise pas d’examiner si la première bouche n’a pas semé le mensonge ; on répète ce que l’on a entendu, pour faire comme les autres, quelquefois par soupçon, le plus souvent pour le seul plaisir de mentir. Heureusement que le temps révèle tout ce qui est caché, témoins vos maximes, vos proverbes, et la nature elle-même qui, grâce à son institution primitive, met tous les jours en lumière des vérités que la renommée n’a point encore annoncées.

Voyez donc quel témoignage vous invoquez là contre nous. Voilà de longues années que la renommée nous accuse, et elle n’a pu jusqu’à ce jour rien prouver contre nous, malgré le temps qu’elle a eu pour grandir. Notre nom naquit sous Auguste ; sa loi brilla sous Tibère : Néron, le premier, le condamna. Jugez-le d’après son premier persécuteur. Si Néron fut un prince pieux, les Chrétiens sont des impies ; s’il fut juste, s’il fut chaste, les Chrétiens sont des méchants et des incestueux ; s’il ne fut pas l’ennemi de la patrie, nous sommes les ennemis de la patrie. Notre bourreau prouve ce que nous sommes, car il a sans doute châtié ce qui lui était opposé : et cependant, de toutes les institutions de Néron, cette loi est la seule qui ait survécu, la seule qui soit juste apparemment, c’est-à-dire qui n’ait rien de commun avec son auteur.

Il n’y a pas encore deux cent cinquante ans que nous existons. Depuis lors, combien de crimes n’avons-nous pas commis ! combien de croix n’ont pas porté l’image de notre Dieu ! Que d’enfants égorgés ! que de pains trempés dans leur sang ! que de flambeaux éteints ! que de noces au hasard dans ces ténèbres ! Jusqu’à présent, c’est la renommée seule qui prononce contre les Chrétiens ; elle a même ses encouragements dans une maladie particulière à l’esprit humain, et ment avec plus de succès dans les événements atroces