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TERTULLIEN.


ces choses soient bonnes et mises au service de l’homme, personne ne le conteste, parce que personne n’ignore ce que la nature suggère d’elle-même. Mais quand on ne connaît Dieu qu’à demi, par le droit de la nature et non par celui de l’adoption, de loin et non de près, on ignore nécessairement comment il nous prescrit d’user, lorsqu’il donne, et quelle puissance jalouse tend à adultérer[1] constamment les créations divines, parce que l’on ne connaît ni la volonté, ni l’antagoniste de celui que l’on ne connaît qu’imparfaitement. Il ne suffit pas de considérer par qui l’universalité des êtres a été créée ; il faut encore examiner par qui ils ont été pervertis. Par ce moyen, on reconnaîtra à quel usage ils sont destinés, en voyant à quels usages ils ne le sont pas. Il y a une grande différence entre la corruption et l’intégrité, parce qu’il y a une grande différence entre le corrupteur et l’auteur.

Au reste, tous les crimes, de quelque nature qu’ils soient, que les païens eux-mêmes défendent et proscrivent comme des choses indubitablement mauvaises, se consomment avec les œuvres de Dieu. Vous voulez devenir homicide par le fer, le poison et les enchantements. Mais le fer est l’ouvrage de Dieu, aussi bien que les herbes vénéneuses et les mauvais anges. Leur auteur les a-t-il destinés cependant à conspirer contre la vie de l’homme ? Loin de là ! il étouffe jusqu’à la pensée de l’homicide par cet unique et principal commandement : « Tu ne tueras point. » De même l’or, l’argent, l’ivoire, le bois, toutes les matières qui servent à tailler des idoles, qui les plaça dans le monde, sinon le Dieu créateur du monde ? A-t-il prétendu cependant que le monde les adorât à son préjudice ? Non, assurément, puisque l’idolâtrie est à ses yeux le plus grand outrage. Qu’y a-t-il parmi les choses qui offensent Dieu qui ne soit à Dieu ? Mais ce qui l’offense cesse d’être l’œuvre de Dieu, et l’offense dès qu’il

  1. L’expression est de Bossuet, Sermons, tom. IV, p.188.