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établit par la guerre, s’agrandit par la victoire. Mais la guerre et la victoire traînent nécessairement après elles le sac et la ruine des cités. Les cités ne croulent pas sans que les dieux en souffrent ; les remparts et les temples s’abîment dans les mêmes décombres ; le sang du prêtre coule avec le sang du citoyen ; les mêmes mains enlèvent l’or sacré et l’or profane. Ainsi, autant de trophées pour les Romains, autant de sacrilèges ; autant de victoires remportées sur les peuples, autant de triomphes sur les dieux ; autant de dépouilles arrachées à l’ennemi, autant de divinités captives dans vos temples. Et ces dieux vaincus consentent à recevoir les hommages de leurs vainqueurs ! et ils donnent un empire sans bornes[1] à ceux dont ils ont à payer les outrages plutôt que les adorations ! C’est qu’on outrage impunément comme on adore sans fruit des dieux muets et insensibles. Et comment pourrait-on faire honneur à la religion de la grandeur des Romains, qui l’ont offensée à mesure qu’ils se sont agrandis, ou même qui ne se sont agrandis qu’en l’offensant ? D’ailleurs tous ces peuples subjugués dont les royaumes ont grossi le colosse romain, n’avaient-ils pas aussi leurs religions ?

XXVI. Voyez donc si le dispensateur des couronnes ne serait pas plutôt cet être souverain qui tient dans sa puissance et la terre et ceux qui gouvernent la terre ; si celui qui a précédé les temps, qui a ordonné les siècles et l’enchaînement de leurs révolutions, n’a pas réglé dans ses conseils la durée et les vicissitudes des empires ; si les cités ne s’élèvent et ne s’abaissent point, au gré de celui qui dominait le genre humain avant qu’il y eût des cités.

A quoi bon toutes ces impostures ? Rome sauvage est plus ancienne que quelques-uns de vos dieux. Elle régnait avant la pompe et la magnificence du Capitole. Les Babyloniens

  1. Allusion à ce vers : Imperium sine fine dedi. Enéide, i.