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mais que nous renoncions même aux choses par qui ils se commettent ; en effet, quoique le crime soit consommé par un autre, il m’importe de n’être pas son instrument. Je ne dois être l’auxiliaire de qui que ce soit dans ce qui ne m’est pas permis à moi-même. Du moment qu’il m’est défendu de faire, je dois comprendre qu’il me faut veiller à ce que mon ministère n’y soit pour rien. En un mot, la question est décidée par un autre cas qui n’a pas moins de gravité. La luxure m’étant interdite, je ne dois seconder celle d’autrui ni par action, ni par consentement. Me tenir personnellement éloigné des lieux de prostitution, c’est reconnaître que je ne puis exercer un pareil métier, ni à mon profit, ni au profit de personne. De même, la loi portée contre l’homicide bannit de nos églises le maître d’escrime : elle craint qu’il ne pratique lui-même ce qu’il enseigne.

Mais voici une analogie plus rapprochée ; un pourvoyeur de victimes destinées aux sacrifices publics embrasse la foi : lui permettrez-vous de continuer son commerce ? ou bien, déjà chrétien, il entreprend ce trafic : serez-vous d’avis de le garder dans l’Église ? Je ne l’imagine pas, à moins que vous ne fermiez aussi les yeux sur le marchand d’encens ; car aux uns la fourniture du sang, aux autres celle des parfums. Si, avant que les idoles eussent envahi le monde, l’idolâtrie, grossière encore, pratiquait déjà son culte avec des parfums, si de nos jours même l’œuvre idolâtrique peut s’accomplir sans idole, rien qu’en brûlant quelques parfums, assurément l’homme le plus utile aux démons, c’est le fournisseur d’encens, puisque l’idolâtrie se passe plus aisément d’idoles que de parfums.

J’en appelle à la conscience de la foi elle-même : si un chrétien qui fait ce commerce vient à passer devant des temples, comment crachera-t-il sur les autels qui fument par ses soins ? comment soufflera-t-il sur des flammes qu’il a lui-même allumées ? de quel front exorcisera-t-il les nourrissons auxquels il donne sa maison pour grenier d’abondance ?