Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 2.djvu/128

Cette page n’a pas encore été corrigée

sans fin. Pour éprouver l’un ou l’autre, il faut que tu reprennes la substance primitive, les éléments du même homme et sa mémoire, parce que tu ne peux sentir ni bien ni mal loin de cette chair douée de sensations, et que le jugement demeure incomplet, sans la représentation de celui qui a mérité l’application du jugement. Cette croyance chrétienne, plus honorable que celle de Pythagore, puisqu’elle ne te transforme point en bête ; plus large que celle de Platon, puisqu’elle te restitue la dot du corps ; plus consolante que celle d’Epicure, puisqu’elle te protège contre la destruction, est accusée néanmoins, rien qu’à cause de son nom, de frivolité, de folie, et, comme on dit, de présomption. Mais pourquoi en rougirions-nous, si notre présomption, c’est la tienne ?

D’abord, quand tu parles de quelque mort, tu le plains, non d’avoir été arraché aux douceurs de la vie, mais d’être déjà en possession du jugement et de la punition. Il est bien vrai que d’autres fois tu proclames la félicité de la tombe. Tu avoues et que la vie est un fardeau et que la mort est un bienfait. Mais à quel moment trouves-tu les morts si heureux ? Au moment où célébrant plutôt tes propres funérailles, tu accompagnes le défunt au-delà de la porte et jusqu’au bûcher, pour te gorger de viandes ; ou bien quand tu reviens du bûcher, chargée de libations. Toutefois j’en appelle à ta pensée à jeun. Abandonnée à tes inspirations, et loin des morts, tu plains leur malheur. Mais à table, en face de ses défunts qui s’asseyent, pour ainsi dire, au même banquet que toi, tu ne saurais leur reprocher leur sort : il faut bien que tu flattes ceux qui t’engraissent. Il ne sent rien, dis-tu ? Pourquoi donc l’appelles-tu malheureux ? Pourquoi donc maudis-tu la mémoire de ce mort, avec l’intention de l’insulter comme s’il était sensible ? Pourquoi souhaites-tu que la terre lui soit pesante ? Pourquoi appelles-tu les tortures sur sa cendre dans les enfers ? D’un autre côté, s’agit-il d’un bienfaiteur auquel tu dois de la reconnaissance ? Tu sou-