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coupe-t-il la moisson pour la punir ? Point du tout : la forêt, la moisson ont accompli leur temps. De même, les devoirs du mariage admettent les réserves elles sacrifices de la tempérance, non pas qu’ils soient criminels en, eux-mêmes, mais comme une moisson mûre et bonne à cueillir, destinée à relever la chasteté elle-même qui se plaît à vivre de privations. Voilà pourquoi, alors que le dieu de Marcion réprouve le mariage comme un crime et une œuvre d’impudicité, il agit au détriment de la chasteté qu’il semble favoriser. En effet, il en détruit la matière. Anéantissez le mariage : plus de tempérance. Otez la liberté, il n’y a plus d’occasion de manifester la continence. Certaines vertus s’attestent par leurs oppositions. Pareille « à la force qui se perfectionne dans la faiblesse, » la chasteté qui se reconnaît a la faculté de faire le contraire. Enfin, qui méritera la gloire de la continence, si on lui enlève ce dont elle doit s’abstenir ? Met-on un frein à la gourmandise dans la famine ? Répudie-t-on le luxe dans l’indigence ? Enchaîne-t-on la volupté dans la mutilation de la chair ? Poursuivons ; conviendrait-il bien à un dieu très-bon d’arrêter la reproduction du genre humain ? J’en doute fort. Comment sauvera-t-il l’homme à qui il défend de naître, en supprimant ce qui lui donne naissance ? Comment déploiera-t-il sa miséricorde sur un être que sa volonté retient dans le néant ? comment aimera-t-il celui dont il n’aime pas l’origine ?

Mais j’entends ; il craint l’excès de la population, de peur d’avoir à se fatiguer en rachetant un plus grand nombre d’hommes ; il craint qu’il y ait plus d’hérétiques, et que des Marcionites il ne vienne des Marcionites encore mieux constitués que leurs pères. Va, ce Pharaon qui tuait les nouveau-nés ne sera pas plus barbare. L’un enlève les âmes, l’autre ne les donne pas ; l’un arrache la vie, l’autre ferme les portes de la vie. Des deux côtés, égal homicide : c’est toujours un homme que l’on immole ; celui-ci, après qu’il est né, l’autre, au moment de naître. Dieu