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donc enfermée dans cet espace, où elle élaborait son monde ? Qu’arrive-t-il alors ? Ce lieu devient plus grand que votre Dieu, plus grand que son monde, puisque tout contenant est plus grand que son contenu. Prenons-y garde même. Il pourrait bien se faire qu’il restât quelque place vacante pour un troisième dieu, prêt à envelopper de son monde les deux autres dieux. Maintenant commençons le dénombrement de ces divinités. D’abord, l’espace : il est devenu dieu à un double titre : il est plus grand que son contenu ; il est sans principe, sans commencement, éternel, égal à Dieu, domicile éternel de Dieu. Ensuite, si le dieu prétendu a façonné son monde avec une matière flottante sous ses pieds, préexistante, incréée, contemporaine de Dieu, toutes les qualités que Marcion abandonne au Créateur s’appliquent également à la majesté du lieu où résidaient Dieu et la matière. Seconde divinité. Car la voilà aussi devenue dieu, elle en a les propriétés fondamentales ; elle ne connaît ni principe, ni commencement : elle est éternelle comme Dieu.

Direz-vous que ce dieu a formé le monde de rien ? Force vous sera d’en dire autant du Créateur, auquel Marcion soumet la matière dans l’ordonnance de ce monde. Mais non, il a dû opérer sur une matière préexistante. Car la raison que l’on oppose au Créateur enchaîne aussi son rival : ils sont dieux l’un et l’autre. Enumérons les trois dieux de Marcion : L’artisan, l’espace, la matière. Conséquent avec lui-même, il enferme aussi le Créateur dans sa sphère. Il soumet à sa prééminence la matière, tout en la taisant incréée, sans principe, éternelle comme lui. Est-ce tout ? Le mal, substance corporelle et fils do la matière, à l’éternité de laquelle il participe, apparaît comme quatrième dieu. Récapitulons ! Parmi les substances suréminentes, trois dieux, le dieu bon des Marcionites, le dieu mauvais ou Créateur, et le monde invisible. Parmi les substances inférieures, l’artisan de ce bas monde, le lieu, la matière, le mal. Que l’on y joigne les deux Christs du sectaire,