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pourquoi le Christ, en prenant une chair qui eût la nature de l’âme, aurait voulu paraître avec une âme qui eût la nature de la chair. Dieu, disent-ils, affecta de rendre l’âme visible aux yeux des hommes, en la faisant corps, d’invisible qu’elle était auparavant. De sa nature elle ne voyait rien, elle ne se voyait pas elle-même, par l’obstacle de la chair, tellement que l’on mit en question si elle était née ou non, si elle était mortelle ou non. Voilà pourquoi, ajoutent-ils, l’âme est devenue corps dans le Christ, afin qu’il nous fût permis de la voir naître, mourir, et, qui plus est, ressusciter.

Mais comment admettre que l’âme se montrât à elle-même ou à nous, par le moyen de la chair, lorsque la chair ne pouvant donner connaissance de l’âme, est au contraire la production de la chose à laquelle l’âme était inconnue, c’est-à-dire la chair, qui est manifestée par ce moyen. Assurément, c’eût été recevoir des ténèbres, afin de pouvoir briller. Enfin, examinons encore préalablement si l’âme a dû être manifestée de cette manière. Nos adversaires en font-ils une substance absolument invisible autrefois ? Dans ce cas, était-elle invisible par soi incorporelle, ou bien comme ayant un corps qui lui fût particulier ? Toutefois, en la déclarant invisible, ils ne laissent pas de l’établir corporelle, ayant en soi ce qui est invisible. Car, à quel titre l’appeler invisible, si elle n’a rien d’invisible ? Mais, d’ailleurs, elle ne peut pas même exister à moins d’avoir ce qui la fait exister. Si elle existe, il faut qu’elle ait nécessairement la chose par laquelle elle existe. Si elle a la chose par laquelle elle existe, cette chose n’est rien moins que son corps. Tout ce qui existe est un corps de son espèce particulière : rien d’incorporel que ce qui n’existe pas. Or, l’âme ayant un corps invisible, celui qui s’était proposé de la rendre visible eût fait plus convenablement de rendre visible ce qui était réputé invisible : par là, il n’y aurait eu ni mensonge ni faiblesse. Voilà que Dieu recourt au mensonge, s’il fait paraître l’âme autre chose