Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/294

Cette page n’a pas encore été corrigée

discussion j’ai encore pour moi la parabole du mauvais riche qui se plaint au fond des enfers, et du pauvre qui repose dans le sein d’Abraham. En effet, à ne consulter que la lettre, elle paraît manquer de liaison avec ce qui précède ; niais examinée dans son but, elle se rattache à l’histoire de Jean, indignement sacrifié, et d’Hérode, son lâche meurtrier, nous représentant ainsi la fin dernière de tous deux, à l’un des tortures, à l’autre les rafraîchissements de la paix, afin que le bourreau entendît dès ce monde : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ! »

Mais, faisant violence aux Ecritures, Marcion veut que les jugements du Créateur, supplices ou rafraîchissements dans les enfers, attendent ceux qui ont obéi à la loi et aux prophètes, tandis que le sein et le port du Ciel ne sont autre chose que son dieu et son christ. Nous lui répondrons par le texte de l’Ecriture elle-même qui lui éblouit la vue quand elle distingue l’enfer du sein d’Abraham où réside le pauvre. « Autre chose en effet sont les enfers, » autre chose, j’imagine, « le sein d’Abraham. » La parabole m’apprend « qu’un immense intervalle sépare ces deux régions et ferme le passage de l’une à l’autre. » D’ailleurs le mauvais riche « eût-il levé les yeux de loin, » sinon pour les porter en haut et du fond de ses abîmes, à travers une immense distance d’élévation et de profondeur ? La sagesse la plus vulgaire qui a jamais entendu parler des Champs-Elysées, peut en conclure qu’il existe un lieu déterminé, appelé le sein d’Abraham, pour recevoir les âmes de ses fils et celles des nations par conséquent, puisque de lui devait naître « un grand peuple » destiné à prendre rang dans sa famille, et en vertu de cette même foi par laquelle le patriarche crut à Dieu, peuple libre du fardeau de la loi et dispensé du signe de la circoncision.

Telle est la région que j’appelle le sein d’Abraham. Si elle n’est pas encore le Ciel, du moins, plus élevée que les enfers, fournit-elle en attendant aux âmes des justes, le rafraîchissement