Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

puissant. Oui, Marcion, tu es plus odieux que les stupides enfants de cette barbarie. En effet, montrez-moi un castor aussi habile à mutiler sa chair que l’impie destructeur du mariage. Quel rat du Pont est armé de dents aussi incisives que le téméraire qui ronge l’Évangile ? Contrée malheureuse, ton sein a vomi une bête plus chère aux philosophes qu’aux disciples du Christ. Le cynique Diogène, sa lanterne à la main, cherchait autrefois un homme en plein midi. Aujourd’hui Marcion, après avoir éteint le flambeau de sa foi, a perdu le Dieu qu’il avait trouvé. Que nos dogmes aient été les siens, ses disciples ne le nieront pas ; ses lettres d’ailleurs sont là pour l’attester. En faut-il davantage pour le proclamer hérétique, puisque, déserteur de ses croyances passées, il a embrassé des opinions qu’il ne professait pas d’abord ? En effet, plus la foi première était véritable, plus l’hérésie est flagrante dans les maximes qu’on lui substitue. Mais cet argument nous l’emploierons ailleurs contre l’hérésie ; car il est facile de la convaincre sans même entrer dans l’examen de sa doctrine, en se contentant de lui opposer la prescription de la nouveauté. Aujourd’hui toutefois, nous voulons descendre dans l’arène. Ecartant d’abord l’arme trop expéditive de la prescription qui, invoquée partout, annoncerait de la défiance de notre part, nous commencerons par exposer les principes de notre antagoniste, afin que l’on sache sur quel terrain va s’engager la lutte.

II. Brisant son navire contre le double écueil du Bosphore, le pilote du Pont imagine deux dieux, un Dieu qu’il n’a pu nier, c’est-à-dire le Dieu créateur, le Dieu des chrétiens, et un autre dont il ne démontrera jamais l’existence, le dieu de Marcion. Déplorable invention de l’orgueil ! L’Evangile parle d’un arbre bon et d’un arbre mauvais : « Un arbre bon, est-il dit, ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais en produire de bons. » L’oracle divin applique aux hommes et non à des dieux opposés, cette comparaison