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V
VIE DE TERTULLIEN.

prunté à la jurisprudence, et signifie une fin de non-recevoir, une exception péremptoire que le défendeur oppose au demandeur, et en vertu de laquelle celui-ci est déclaré non-recevable à intenter cette action sans qu’il soit besoin d’entrer dans le fond et les détails de la cause. Tertullien écarte donc à la fois et par un seul mot, toutes les sectes de l’Église. « Vous êtes d’hier ; vous venez de naître ; avant-hier, on ne vous connaissait pas. » Hesternus es, hodiernus. Magnifique idée, qui, annoncée d’avance dans l’Apologétique, avait eu son origine peut-être dans l’ouvrage de saint Irénée, et reçut un sublime commentaire dans les Variations de l’évêque de Meaux.

Le plus célèbre et le plus important des ouvrages que Tertullien écrivit pendant qu’il appartenait à la grande famille catholique, c’est son Apologétique, qu’il composa vers l’an 199, la septième année de Sévère, et quelque temps après la défaite de Niger et d’Albinus. Tous les écrivains sont d’accord pour mettre cet ouvrage au rang des chefs-d’œuvre que l’antiquité chrétienne nous a transmis. Sa réputation s’étendit bientôt aussi loin que l’Église elle-même, c’est-à-dire, aux rapports d’Eusèbe, jusqu’aux extrémités de l’univers. Quant à la conduite de l’ouvrage, suivant un écrivain moderne, elle est sans reproche ; la méthode en est régulière, la marche vive et pressante, les matières savamment graduées. Les conséquences les plus décisives viennent toujours s’y enchaîner aux principes les plus lumineux. L’esprit, le bon sens et l’érudition y brillent également. Il jaillit de l’imagination de l’auteur des expressions éclatantes, créations du génie africain, qui font le désespoir du traducteur, et ne peuvent passer dans aucune langue, qu’affaiblies par la périphrase ou l’équivalent. La plaisanterie y est souvent mordante et descend jusqu’au sarcasme. Au reste, c’est là un des caractères de Tertullien ; à la gravité du raisonnement, il mêle volontiers le sel de l’ironie. Ce n’est point un homme qui demande grâce, mais qui se rit de ses bourreaux.

Cette magnifique apologie de la religion chrétienne, la plus belle de toutes celles qu’ont entreprises les écrivains sacrés de l’antiquité, est adressée « aux magistrats de l’empire romain, qui rendaient leurs jugements dans le lieu le plus éminent de la Cité. » Il paraît qu’il entend parler des magistrats de Carthage sa patrie, plutôt que de Rome. C’est le sentiment de Dupin, de Tillemont et de l’abbé de Gourcy. Il parle à des