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Dieu s’est fait petit afin de faire l’homme plus grand. Ah ! dédaignez un pareil Dieu ! mais alors je ne sais si vous pouvez croire à un Dieu crucifié. Etrange renversement d’idées dans votre manière de concevoir la bonté et la justice du Créateur ! Vous le reconnaissez pour juge. Mais vient-il à exercer la justice, et à déployer une sévérité en proportion avec les motifs qui ont provoqué la justice, alors vous n’avez pas assez de plaintes contre sa barbarie. Vous voulez un Dieu souverainement bon. Mais que cette bonté miséricordieuse ait une bienfaisance conforme à sa douceur, et s’abaisse pour se mettre à la portée de l’homme, bassesse ! avilissement ! vous écriez-vous. Il ne vous plaît ni grand, ni petit, ni ami, ni juge. Que direz-vous si nous vous faisons toucher au doigt les mêmes infirmités dans votre Dieu ? Qu’il juge, nous vous l’avons déjà prouvé en son lieu. Qu’en sa qualité de juge, il déploie la sévérité, et par la sévérité la rigueur, rien de plus vrai, si toutefois il y a rigueur.

XXVIII. Enfin, aux abaissements, aux malices, et aux mille censures de Marcion, j’opposerai des antithèses rivales. Mon Dieu, dis-tu, a ignoré qu’il y eût un dieu supérieur à lui. Mais le tien n’a pas su qu’il y eût un dieu inférieur à lui ; car selon le ténébreux Heraclite, de haut en bas, ou dé bas en haut, même distance. S’il ne l’eût pas ignoré, n’eût-il pas remédié au mal dès le principe ? Mon Dieu a livré le monde au péché, à la mort, et au démon instigateur du péché. Mais ton dieu n’est pas moins coupable ; il a tout enduré. Mon Dieu a changé de résolution. Mais le tien en a fait autant. Le jour où, réveillé de sa longue apathie, il abaissa ses regards sur le genre humain, n’a-t-il pas renoncé à une indifférence de plusieurs siècles ? Mon Dieu se repent dans quelques rencontres. Même reproche pour le tien. Quand il avisa enfin à la réhabilitation de l’humanité, ne s’est-il pas repenti de son long silence à l’égard du mal ? Oui, l’insouciance du salut de la terre fut un crime, dont votre dieu