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nité un peu bourgeoise et le sens positif s’accommodaient mal avec son tempérament d’artiste parisien. Comme il tenait de son père infiniment d’esprit et un peu de malice, il se donnait parfois, quand il voyageait avec ces personnes graves, le plaisir assez innocent de les exaspérer. Tous ses amis l’ont entendu raconter, à ce sujet, de bien amusantes anecdotes. ― « Pourquoi donc, » lui demande un jour, tout en marchant, le géologue, très brave homme, mais volontiers rogue et sévère, qui l’accompagnait, « pourquoi donc portez-vous toujours des guêtres ? » ― « Parce que », répond Bertrand avec le plus grand sérieux, « quand je les quitte le soir, ça me délasse. » ― Une autre fois, c’était avec un autre géologue. Le train les emmenait à Toulon, et l’on voyait déjà, par la portière, s’estomper les sommets familiers, le Coudon et le Faron. La conversation avait beaucoup langui, restant d’ailleurs purement géologique, mais coupée çà et là de brusques boutades de Bertrand qui avaient un peu agacé son interlocuteur. Tout à coup, d’une voix de théâtre, Bertrand s’écrie, en montrant au loin les montagnes :

 
C’est Faron que voile la brume,
Et Coudon, gigantesque enclume,
Dont le tonnerre est le marteau !


― « De qui sont ces vers ? » demande l’infortuné compagnon devenu très nerveux. ― « De moi », réplique Bertrand, du même air impassible qu’il eût pris pour parler du Trias. Au retour de ce voyage, le compagnon disait à qui voulait l’entendre que « Marcel Bertrand serait charmant, en courses, sans sa déplorable manie de toujours citer des vers ».

J’en connais d’autres qui, après les étonnements du premier jour, ont tout aimé de Marcel Bertrand et qui l’eussent suivi jusqu’au bout du monde ; qui rangent parmi les meilleurs souvenirs de leur jeunesse la mémoire des