et généralement grossie, des ridicules. Il se surveille étroitement, toujours prêt à plaisanter sa propre émotion, à refroidir son enthousiasme, à refréner son imagination, à s’interdire toute fantaisie de parole ou de plume. Je l’ai déjà dit : on peut bien comprendre Marcel Bertrand si l’on se rappelle qu’il y a en lui deux hommes, un prophète et un critique. Le premier est, en outre, un vrai poète, un orateur plein de feu, un merveilleux artiste ; le second, très avisé et très méfiant, difficile à émouvoir, un peu sceptique même, a la raillerie facile et l’épigramme toujours prête. Dans toute l’œuvre, on voit leur double empreinte ; et le style résulte clairement de leur collaboration presque égale et de leur antagonisme exactement équilibré.
C’est une de nos tristesses, à nous autres qui avons connu, entendu, admiré et aimé Marcel Bertrand, que de voir combien il paraît lointain aux jeunes savants de France, aux membres de la Société géologique de France qui n’ont pas encore trente-cinq ans et qui se le rappellent seulement sous les traits d’un « ancêtre plein de funérailles ». Plusieurs l’ont aperçu quelquefois, entre 1900 et 1904, aux séances de cette Société, mais taciturne déjà, et déjà presque indifférent à la vie de la Science. Ils connaissent l’œuvre et en savent l’extraordinaire portée ; ils ne pourront jamais se figurer ce qu’était l’homme, à quel point il vivait, quel foyer rayonnant il portait en lui, quel fonds inépuisable de gaieté et de cordialité se manifestait dans toute sa personne, non seulement à ses amis, mais à quiconque s’adressait à lui ; ils ne sauront jamais l’accueil charmant qu’il réservait aux plus humbles dis-