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de formation de la première chaîne. « Quand le tétraèdre sera arrivé à sa position d’équilibre, le rouage central sera arrêté, les mouvements s’amortiront peu à peu, les dénudations nivelleront tout, sans que rien renouvelle leur action ; la vie géologique de la Terre sera terminée… » Telles sont les spéculations où le Maître s’est laissé entraîner dans les deux premiers mois de cette année 1900 ; tel est le ton de ses dernières communications à l’Académie des Sciences. Dans une sorte d’ivresse, il monte, il monte, sans qu’aucune objection soit désormais capable d’arrêter son essor. En le voyant, ou en l’entendant, on pense malgré soi au navire aérien de la Légende des Siècles, à « ce navire impossible », qui est l’homme lui-même :

Il se perd sous le bleu des cieux démesurés,


et l’on est tenté de lui crier : « Pas si loin ! pas si haut ! redescendons !… »

Quand paraissent, aux Comptes Rendus de l’Académie, ces trois Notes de Marcel Bertrand sur l’orogénie et sur la déformation du tétraèdre, nous avons tous, nous ses amis et ses disciples, l’impression d’un éblouissement et d’un balbutiement. Peut-être quelques-uns d’entre nous songent-ils à un excès de fatigue. D’autres trouvent tout simple que l’on sorte ébloui de la vision de la Lumière, et que, d’un voyage vers l’Ineffable, on revienne en balbutiant. Personne, à coup sûr, n’a la moindre idée qu’il puisse y avoir là, dans ces pages splendides et comme semées d’éclairs, mais chaotiques et confuses, le premier symptôme d’une redoutable maladie. C’est cela pourtant : nous ne le saurons que plus tard, et quand il n’y aura plus de remède. Elle eût probablement reculé, cette triste visiteuse, devant un peu de repos et de joie ; elle eût tout au moins ajourné son œuvre de ruines et de ténèbres.